Les éditions La Vie Est Belle poursuivent leur travail d’exhumation des films d’André Delvaux, l’une des figures de proue les plus emblématiques du cinéma belge. Après avoir édité l’été 2010 L’Œuvre au noir d’après l’ouvrage de Marguerite Yourcenar, ils remettent aujourd’hui au goût du jour une adaptation passionnante mais trop peu connue d’un roman de Suzanne Lilar, La Confession anonyme, devenu sur grand écran Benvenuta. Élégant mais fiévreux, le film offre à Fanny Ardant l’une des plus belles compositions de sa carrière.
Pour ceux qui ne connaissent pas de manière exhaustive le travail d’André Delvaux, la nouvelle visibilité accordée à deux de ses films majeurs, L’Œuvre au noir l’année dernière, Benvenuta ce mois-ci, renseigne, si cela était encore nécessaire, sur la force des liens que le cinéaste a construits entre son art et la littérature. Au-delà des mots raffinés et de ce français châtié qui témoignent bien évidemment d’une érudition qui rime avec passion, il est fort probable qu’André Delvaux ait trouvé dans une certaine littérature (essentiellement féminine et féministe) une source d’inspiration intarissable, celle-ci lui offrant des personnages jusqu’au-boutistes, incapables de compromis avec leurs idéaux et leurs sentiments. L’autre point indissociable du cinéma de Delvaux, c’est son ancrage géographique. En effet, le cinéaste belge s’est toujours attaché à faire de son pays le théâtre intemporel de ces tragédies humaines, de Bruges dans L’Œuvre au noir à Gand dans Benvenuta où se côtoient pourtant des acteurs de nationalités différentes, de Fanny Ardant à Vittorio Gassman en passant par Françoise Fabian.
Reprenant la trame du roman de Suzanne Lilar, La Confession anonyme, Benvenuta débute sur une rencontre, celle d’un scénariste et de Jeanne (Françoise Fabian), une écrivaine belge dont il souhaite adapter l’un des romans pour le cinéma. Quelques années auparavant, Jeanne a publié une œuvre sulfureuse décrivant la relation passionnée et tumultueuse entre Benvenuta (Fanny Ardant) et Livio Carpi (Vittorio Gassman), notable italien. Revenant sur la genèse de cette expérience littéraire, Jeanne jette progressivement le trouble sur le caractère fictif de ce drame amoureux, le film jouant des va-et-vient entre l’intensité d’un passé idéalisé et le vide du temps présent, donnant ainsi corps à l’insaisissable porosité entre création et vécu. Pour répondre aux besoins du scénariste, Jeanne lui rejoue donc l’histoire, expliquant en creux les ravages de cette passion qui conduisit la belle et sensuelle Benvenuta jusqu’à un point de non-retour.
Avec l’élégance qu’on lui connaît (cadres très précis, lumière travaillée, mouvements de caméra harmonieux), André Delvaux remet donc en scène cette liaison interdite. Mais loin de s’en limiter à un formalisme académique, il donne à chaque mot prononcé tout son caractère incandescent, laissant exploser par fulgurance un feu contenu sous la glace des conventions sociales. Le désir sexuel est palpable, l’absence physique en est donc d’autant plus cruelle. Le raffinement de la mise en scène pourrait nous laisser croire que le regard porté par le réalisateur serait potentiellement biaisé, arborant une pudeur qui traduirait finalement une réserve, un certain conservatisme à approcher les ravages de cette histoire d’amour. Mais le film est un modèle d’équilibre et de subtilité, les mots et les phrases prononcées par Benvenuta transcendant à chaque fois et comme par miracle l’intensité d’un sentiment amoureux qui consume fatalement.
Les scènes se suivent comme d’étonnants tableaux où, à chaque fois, la jeune femme rejoue son amour comme on mise au casino. Sans aucune complaisance mais avec une troublante acuité, le réalisateur scrute l’expressivité changeante du visage tourmenté de son actrice principale, Fanny Ardant qui trouve ici l’un de ses plus beaux rôles, auquel répond le visage plein de Françoise Fabian, comme si la passion avait fini par être enfouie sous le vernis d’une sagesse de façade. Entre Benvenuta et son amant impossible, les rencontres se multiplient, tout comme les occasions manquées. L’une des plus belles scènes du film montre la jeune femme dérangeant le personnel d’un aéroport pour pouvoir appeler Livio. Sous le regard indiscret d’un membre de la sécurité, elle dévoile de manière pathétique son incapacité à mener un jeu dont elle croyait avoir défini les règles. Mais l’amertume n’est pas le propos de Delvaux. Benvenuta fait juste l’expérience de son romantisme exacerbé et de sa limite à pouvoir atteindre l’autre dans sa réalité. Dans une très belle scène finale, les mots imaginés comme cathartiques sont finalement rendus à leur impuissance, faisant de ce précieux film une troublante ode à la plus intense des sentimentalités.