Les trois derniers films de Romain Goupil sont désormais disponibles au sein d’un même coffret dans la collection « Les Films de ma vie ».
À eux trois, les films contenus dans ce coffret reflètent plutôt fidèlement l’ensemble de la carrière de Romain Goupil, cinéaste rare au vu du nombre de ses réalisations, dont la première, Mourir à 30 ans, remonte à 1982.
Largement autobiographiques, ils sont tous réalisés, écrits, et interprétés par Romain Goupil. Mais cette omniprésence devant et derrière la caméra ne doit pas induire en erreur sur les préoccupations du cinéaste. Chez Goupil en effet, je, c’est les autres. Impossible dès lors d’évoquer son univers cinématographique sans mentionner les nombreuses femmes qui l’entourent (compagnes, maîtresses – officielles ou officieuses, voire d’un jour) ainsi que ses fidèles amis.
Le dernier film en date, Une pure coïncidence, sorti en 2002, est ce qu’il convient d’appeler un film de potes. Goupil se filme entouré de ses amis de toujours, ceux qu’il côtoie depuis son adolescence, voire son enfance : amis du quartier (le 18ème arrondissement de Paris, et la cité de la rue Ordener), ou camarades avec lesquels il fondera les comités d’action lycéens, manifestant dès 1967 contre les fascistes, ou contre l’éviction d’Henri Langlois de la Cinémathèque.
La bande de copains, qu’un autre point commun (leur passion pour le poker) lie depuis alors 35 ans, se réunit à l’occasion de la maladie du père de l’un d’eux. Goupil leur fait alors part d’une information qu’il tient du sans-papier qu’il parraine : il existerait en plein milieu du quartier chinois de Paris un bureau de change destiné à récolter de l’argent pour les passeurs, où les clandestins doivent se rendre pour payer leur dû, faute de quoi ils se font passer à tabac. À l’aide d’une caméra camouflée dans une poussette, Goupil se rend sur les lieux. À la vue des images ramenées, la bande de copains décide alors de se lancer dans une opération commando afin d’obtenir le plus d’informations possibles sur ce racket. Cela mènera progressivement nos pieds nickelés jusqu’à un improbable hold-up du bureau de change, qui les voit repartir avec un butin de plusieurs millions de francs, avant d’aller faire la fête en compagnie de tous leurs amis.
Le film précédent de Goupil, À mort la mort !, qui date de 1999, part du constat suivant : « Ce jour-là j’ai eu la sinistre certitude que je verrais les amis plus souvent au cimetière qu’aux manifestations. » Ici, l’auteur de Mourir à 30 ans filme la difficulté pour ce groupe de soixante-huitards de vivre à 50 ans, quand on est devenu « un vieux con ». Drogue, cancer, suicide, SIDA, les amis partent au fur et à mesure. Le tout se complique encore un peu plus quand un vieux camarade militant vient les hanter (tel une sorte de spectre de mai 68). Mais Thomas, le personnage qu’interprète Goupil, n’est pas homme à se laisser démoraliser facilement, et l’éternel adolescent qu’il est resté se plaît à aller de femmes en femmes, sans pour autant négliger son rôle de père, toujours fidèle à ses prises de position de jeunesse, refusant catégoriquement de voir ses filles aller manger dans un restaurant McDonald’s. Mais on est en France, où c’est bien connu tout se finit en chanson, ici dans le cadre de la cour de la cité du 18ème dans laquelle il a grandi, et on croise en vrac Higelin, Brigitte Fontaine et Areski, ou encore Edwy Plenel et André Glucksmann.
La maladie était déjà le point de départ de Lettre pour L…, cinq ans plus tôt. Averti par une lettre de la grave maladie de son premier amour, Goupil décide de tourner un film pour elle, « un film bien ». La première partie du film est complètement délirante. Goupil rejoue des scènes de son adolescence, accentuant humoristiquement le trait au passage (on le voit notamment se masturber devant la photo du Che), avant de se lancer dans une réflexion parodique à la manière de Godard (« un film bien, est-ce bien un film ? »), et de se donner un temps les allures d’un homme d’affaires plus que d’un cinéaste, entouré d’une équipe de jeunes en sweat-shirts marqués des mots « juste une image », parmi lesquels on reconnaît un tout jeune Mathieu Amalric, par ailleurs assistant-réalisateur lors du tournage.
La deuxième partie du film voit Goupil traiter cette notion de « film bien » de façon beaucoup plus adulte. La connaissance d’atrocités et d’entorses aux droits de l’homme qui se déroulent à quelques heures d’avion de chez lui, ne fait-il pas de lui un complice s’il ne fait rien ? Le cinéma de Goupil devient alors politique, et le voilà parti promener sa caméra en Russie, en Allemagne, à Gaza, et enfin Belgrade, afin de dénoncer par le biais des images qu’il y recueille.
On trouve répartis sur les trois disques des suppléments dignes d’intérêt. Un premier, consacré à « la bande à Goupil », laisse la parole à ses amis de toujours, ceux-là mêmes qu’on retrouve dans Une pure coïncidence, et qui ont été de tous les projets du cinéaste, parfois utilisés comme simples figurants le temps d’un plan, ou en tant que chef-opérateur (pour Jean-Baptiste Poirot) ou accessoiriste (pour Coyotte).
Ces deux derniers habitaient la même cité que Goupil, et ont très tôt commencé à faire des films avec lui. On retrouve également trois de ces courts-métrages dans les suppléments. Tournés en pellicule 8mm ou 16mm, ils témoignent du sérieux que mettaient les jeunes garçons à la tâche, avec une attention particulière aux maquillages, aux costumes, et à la technique : caméra à l’épaule, travelling arrière, ralenti, surimpression d’images… ils expérimentent sans cesse, faisant leur apprentissage, de petit film en petit film, un peu comme au poker, où on apprend de ses erreurs. Le fait que le père de Goupil soit un chef-opérateur (notamment sur les films du commandant Cousteau, pour lesquels il s’absentait de longs mois et revenait avec une très longue barbe, les bras chargés de cadeaux) a beaucoup joué au niveau de la vocation artistique des trois compères, qui se payaient leur pellicule en organisant des projections de leurs films.
Sur Une pure coïncidence, Romain Goupil commente des passages du premier montage du film, qui durait initialement trois heures, soit plus du double de la version définitive. L’idée de base du film vient de la demande de son ami Nicolas Minkowski de filmer son père, alors gravement malade, sur son lit d’hôpital. Une petite caméra DV est alors vite achetée, véritable septième personnage du film, qui relie tous les amis autour d’elle. L’idée initiale abandonnée, la caméra sera mise à profit pour filmer l’intrigue du racket des clandestins.
Pour ce qui est de la véracité des faits montrés dans Une pure coïncidence, Goupil maintient volontiers l’ambiguïté, et a même décidé de clore son film sur l’interview d’un avocat, mettant en garde les compères sur les risques encourus par la diffusion de ces images. Mais on ne s’y trompera pas, tout ce que nous avons pu voir à l’écran a été savamment orchestré, écrit, et répété, et l’impression de cinéma-vérité qui sert si bien le propos, accentuée par le parti pris de filmer avec une caméra DV, relève du tour de force. Goupil retourne à son avantage les propos de Godard, dont il fut un temps l’assistant. Ici, le cinéma a quelque chose à voir avec la manipulation, et n’est définitivement pas « la vérité 24 fois par seconde », mais sa vérité 24 fois par seconde. Une pure coïncidence, un film bien ? Un bon film déjà, suffisamment pour être signalé.