Projet commandé par Canal+ puis finalement refusé à la diffusion pour d’obscures raisons, Madâme, le film, voit finalement le jour en DVD après avoir fait l’objet d’un ouvrage devenu best-seller. Une excellente occasion de se confronter à la personnalité controversée de l’actuelle première dame de France que l’on surnomme aussi Mme Pièces jaunes.
Bernadette Chirac, pour l’opinion publique, reste une femme de l’ombre qui s’est mise au service de la carrière politique de son mari. Entre la célèbre opération « pièces jaunes » qui lui donne presque le monopole associatif et les surnoms que lui attribue Jacques Chirac (« la tortue »), l’épouse du Président passerait presque pour une femme au service du peuple, généreuse et attentive aux besoins de chacun. Bien évidemment, la démarche de John Paul Lepers (déjà responsable des deux reportages Nicolas Sarkozy : Élysez-moi ! et Ségolène Royal : En avant marche !) est de prouver que rien n’est si simple autour de cette femme issue de la noblesse corrézienne qui entretient un rapport terriblement ambigu avec son statut de femme de président.
Le journaliste a donc choisi de faire un portrait isolé de Mme Chirac, loin des tourments de ces dernières années où son mari a dû faire face à de très nombreux échecs qui ont durablement entamé sa popularité auprès des électeurs. L’essentiel du reportage se passe donc en Corrèze, le fief natal des Chirac, où la première dame de France mène une carrière politique à l’échelle locale. Le palais de l’Élysée reste donc hors champ, la vie politique parisienne aussi. Tout au plus, la verra-t-on assister à quelques meetings de l’UMP, mais surtout participer à l’inauguration d’une maison de retraite que la fondation « Pièces jaunes » a co-financée, événement duquel les représentants de la région (PS) furent éclipsés alors que l’investissement de l’association se révèle être… 100 fois moins élevé. Bernadette Chirac, c’est donc l’art d’en faire le minimum pour attirer toute l’attention sur elle. Tout comme pour d’autres politiques de toute couleur, la communication a donc pris le pas, mais là où Lepers parvient à capter un véritable malaise, c’est lorsqu’il montre en quoi l’épouse du Président, qui ne bénéficie pourtant d’aucun statut politique particulier, s’impose avec une autorité et une dureté à peine feintes pour parvenir à ses fins.
Tout comme pour son reportage sur Nicolas Sarkozy, John Paul Lepers, le trublion de Canal+, est évité comme la peste et rencontre d’innombrables difficultés pour s’entretenir avec Mme Chirac. Or, le reportage soulève un paradoxe. À l’échelle départementale de la Corrèze, Bernadette Chirac, conseillère municipale d’un village de 300 habitants, reste pourtant intouchable. Il suffit par exemple de voir comment les députés UMP dressent un bouclier sur son passage lorsque la femme quitte le Conseil Général, rendant tout contact avec elle absolument impossible. Plus édifiant encore, lorsque la télévision belge ose l’aborder dans la rue, Bernadette Chirac se montre offusquée, encourage les journalistes à prendre contact avec son conseiller politique tout en leur demandant s’ils se permettraient d’accoster ainsi la Reine ou la princesse de Belgique. La femme du président se vit donc comme une intouchable, capable de déployer une horde de gendarmes pour barrer la route qui longe le château familial, route très feu fréquentée au demeurant.
Si le reportage est pourvu des mêmes faiblesses formelles que les précédents, Madâme, le film convainc davantage par sa durée et ne serait-ce que pour nous avoir montré, l’espace de quelques secondes, un trait insoupçonné de la personnalité de Bernadette Chirac : dans un meeting public, la femme, d’abord immobile, lance un regard revolver à la caméra intrusive et attrape violemment le micro du perchman avec une satisfaction non dissimulée. Tout dialogue reste définitivement impossible : même le court entretien qu’elle finit par accorder par lassitude le prouve. Mme Chirac est une femme de pouvoir suffisamment intelligente pour obtenir ce qu’elle veut. Reste à savoir si ce qu’elle obtient relève du principe démocratique.