Avec la fin des éditions Neo Publishing, on aurait pu croire que le cinéma bis n’aurait plus droit de cité sur les rayonnages des vendeurs de DVD. Heureusement, seul face à l’empire du cinéma institutionnel, un site d’irréductibles résiste encore : Nanarland.com, nos confrères à la réjouissante ligne éditoriale « Le site des mauvais films sympathiques », ont décidé de se lancer dans l’édition DVD. Autant vous dire qu’on n’est pas déçus du voyage.
On ne chante pas assez les louanges de ces héros de l’ombre que sont les responsables éditoriaux des éditions DVD, et ceux qui leur fournissent du matériau. Alors, quand à un contenu éditorial riche s’ajoute l’édition d’une rareté, tout cela ne peut que réjouir le cinéphile curieux. Et il en faudra, de la curiosité, pour se pencher sur le cas d’Il était une fois le diable / Devil Story, cousin en réputation foireuse du célèbre Plan 9 from Outer Space d’Ed Wood – à ceci près que le film de Bernard Launois ne bénéficie pas vraiment de la même notoriété. Voire, il n’est pas connu du tout.
On sent donc, chez nos collègues de Nanarland.com, une fibre robin-des-boisesque qui les pousse à sortir Il était une fois le diable / Devil Story des limbes. Mais, avant d’aborder le film lui-même, revenons à nos moutons-bonus. Archives de l’INA, iconographie riche, documents sonores étonnants, enquête « 25 ans après » poussée… Le morceau de choix de ces bonus étourdissants est cette enquête, qui revient sur le tournage du film en compagnie de son actrice principale, Véronique Renaud, et du réalisateur Bernard Launois. C’est une occasion rare : entendre parler, librement et sans langue de bois aucune, ceux qui ont participé à l’aventure d’un film raté. Le discours de Véronique Renaud et de Bernard Launois n’est jamais forcé, jamais cauteleux. Les deux établissent une nuance : si le film n’est pas, dans l’ensemble, un mauvais souvenir, il ne correspond pas à ce à quoi chacun s’attendait. À ce titre, l’ahurissante comparaison entre le superbe script original de la première séquence et sa transposition à l’écran – une horreur – est très révélatrice.
Au-delà de ces documents inestimables – l’angle qu’ils nous offrent sur la création cinématographique est précieux par sa rareté et sa sincérité –, l’équipe de Nanarland ne s’arrête pas là, et agrémente le DVD d’une bonne dose de bonus parodiques, dont le bonus (pas trop) caché (l’interview du chat maudit, vingt-cinq ans après le tournage) constitue le morceau de choix. Autant la précision des documents que l’humour qui préside aux bonus parodiques respirent une donnée essentielle à l’amateur de bis – à l’amateur de cinéma tout court ? : une tendresse réelle pour les canards boiteux du cinéma, qui n’en sont pas moins des films comme les autres.
Avec tout ça, que dire du film lui-même ? Dans son émission web, l’équipe de Nanarland relevait brillamment le défi consistant à résumer de façon cohérente l’intrigue d’Il était une fois le diable / Devil Story. Qu’il ne soit pas dit que Critikat a reculé devant la gageure ! Mélangeons donc les ingrédients : un cheval maudit (« cet animal du diaâable ! »), un chat également maudit (et souffrant de logorrhée miaulante), un monstre serial-killer nazi défiguré, un aubergiste avide, un navire anglais, vous l’aurez deviné, maudit aussi, des naufrageurs, deux touristes égarés, un clone de l’héroïne en déguisement de Mireille Matthieu et une momie égyptienne très probablement maudite. Oui, ça fait beaucoup. Allez vous étonner après ça que le liant ne tienne pas. Et pourtant…
Pourtant, avec un tout petit peu de mauvaise foi, on peut se hasarder à trouver de réelles qualités à Il était une fois le diable / Devil Story, si attendrissant. Comme le souligne Frank Henenlotter, même si on ne se risquerait pas à qualifier l’œuvre de Bernard Launois de bon film, ce n’est pas un mauvais film : au moins montre-t-il des choses qu’on n’avait pas vues avant, d’une façon certainement inédite. Son chaos narratif, sa photo ouatée confèrent au film un onirisme plaisant qui, finalement, pallie l’absence de logique narrative. Qui passera le cap des premières minutes sera vite rattrapé par l’impression de rêve tranquille qui se dégage d’Il était une fois le diable / Devil Story, et par le sentiment d’avoir partagé, aux côtés de Véronique Renaud et de Bernard Launois une aventure de cinéma qui, envers et contre tout, en valait la peine.