Un soir comme un autre, deux jeunes et séduisants inconnus (Mia Farrow et Dustin Hoffman, au pic de leurs carrières et de leur talent – Rosemary’s Baby et Macadam Cowboy sont juste derrière eux) se rencontrent dans un bar. Ils passent la nuit ensemble. Ainsi est posée l’anecdote de John & Mary, septième film injustement méconnu de Peter Yates, qui vient de réaliser Bullitt. Il va s’intéresser, pour le plus gros de son développement, à l’ouverture des possibles créée dans la fiction par la banale rencontre amoureuse.
Boy meets girl
Que faire quand on se réveille avec un(e) inconnu(e) dont on ignore jusqu’au prénom ? C’est de la comédie de l’amour naissant que se joue d’abord, avec une sympathique ironie, John & Mary. Entre les dialogues plus ou moins convenus qui posent les bases de la découverte de l’autre se glissent, en voix off, les pensées des deux nouveaux amants. Ironiques, voire cyniques, ces pensées amusantes détissent les conventions et hypocrisies de la rencontre amoureuse – et donc de la romance au cinéma. Ce sous texte – la voix off donne littéralement à entendre ce qui se joue entre les lignes de la comédie de la séduction – fait d’abord toute la saveur de John & Mary.
Plus encore, c’est à l’image même que Peter Yates s’amuse de l’ouverture des possibles offerte par la rencontre. N’osant encore s’avouer leur attachement et le désir qu’ils ont déjà de rester ensemble, John et Mary se projettent – elle de retour dans sa colocation, faisant des courses avec une amie ; lui se rendant à la soirée d’une ex-petite amie. Fantasmant déjà sur l’éventualité d’un amour, ils se souviennent – elle de l’universitaire dont elle était douloureusement la maîtresse, lui de la mannequin qui a trop vite emménagé dans son appartement. Entre voix off, flash-backs et passages imaginés, John & Mary ouvre à l’image un espace fantasmatique qui en crée toute la saveur. La séquence la plus réussie à ce titre rejoue une scène déjà vue. Alors que Mary s’était imaginée de retour dans son immeuble, croisant ses voisins et deux colocataires, elle décide de rester plus longtemps avec son nouvel amant. Elle lui décrit l’endroit où elle vit et nous le revoyons, avec sa voix en off, transformé par l’imagination de John et sa jalousie naissante. Le réalisateur excentrique du rez-de-chaussée devient un séduisant et potentiel rival, les Japonais du premier étage font du karaté en kimono, tandis qu’il se fait une idée particulièrement caricaturale des relations entre les trois jeunes filles.
One day love
C’est donc sur une note aussi amusante qu’ironique, voire critique, que se donne John & Mary : le film éprouvant dans ses dialogues et projections fantasmées toute l’hypocrisie, tous les pièges dans lesquels s’enferment sans trop hésiter les deux amants. Le happy end amoureux en est-il vraiment un, ou l’annonce de la reprise inlassable du cercle mesquin et vicieux dans lequel Mary et John ont vécu leurs précédentes relations ? Libre à chacun de trancher, sans doute – reste que le film est moins une comédie romantique qu’un état des lieux, réussi, des mœurs amoureuses et sexuelles de la jeunesse de la fin des années 1960. Notons à ce sujet l’étonnante pudeur des sous-titres français du DVD édité par Solaris Distribution : ils s’évertuent à réduire le vocabulaire sexuel des personnages au champ lexical de l’amour, ou à des termes vidés de leur évocation érotique (les jeunes filles qui discutent du fait d’être « horny » deviennent par exemple « énervées »)… C’est dommage, car cette franchise des dialogues est pour beaucoup dans la justesse du propos.