Kwaïdan regroupe quatre contes fantastiques : Les Cheveux noirs, La Femme des neiges, Hoichi aux oreilles coupées, et Dans un bol de thé. Chacun de ces contes met en scène à sa manière l’intrusion du monde de l’au-delà dans le monde réel, en montrant des humains aux prises avec des événements surnaturels, le plus souvent des esprits. Longtemps amputée du deuxième conte, cette version intégrale rend enfin hommage à ce grand film de Kobayashi, qui réalisait là sa première et unique incursion dans le fantastique.
Kwaïdan est un film fantastique, mais il s’agit d’un fantastique qui rôde, qui s’insinue peu à peu dans l’histoire et dans la vie des personnages. Sans grandiloquence, l’angoisse est surtout créée par de petites touches de surnaturel, ainsi que de savants jeux de lumières et de couleurs, qui nous font basculer d’un monde à l’autre, et révèlent la présence des esprits, notamment dans La Femme des neiges. Le lien entre les vivants et les morts est ainsi constamment interrogé et vient troubler la normalité qui caractérise le début – et parfois même la plus grande partie – de chaque conte. Par exemple dans le premier conte, seule sa résolution est fantastique, et vient rompre avec une narration jusque là classique.
Les esprits, trompeurs, illustrent parfaitement le thème de l’illusion qui traverse tout le film : la femme jadis aimée semble n’avoir pas changé, Hoïchi croit jouer du luth pour une famille noble disparue depuis des siècles, et le visage que l’homme voit dans un bol de thé est peut-être une illusion d’optique ou un esprit malfaisant. À travers ces histoires d’amour et de mort, Kobayashi dresse aussi un tableau réaliste de quelques défauts humains : la lâcheté, l’ambition, l’égoïsme, tandis qu’il rend parfois les souffrances des esprits touchantes. Kwaïdan n’est donc pas simplement la lutte des humains contre des esprits malfaisants, mais une illustration de la condition humaine, dans ses contradictions et ses nuances.
La grâce de la mise en scène de Kobayashi est extraordinaire. Des cadrages précis, des mouvements de caméra lents et harmonieux contribuent à créer l’atmosphère si particulière de ce film de fantômes, revenus hanter les vivants pour d’obscures raisons. Les décors peints gigantesques, et les reconstitutions en studio, loin de menacer le réalisme du film, le font entrer dans une sorte d’intemporalité qui explique la force et la beauté que possède encore aujourd’hui le film. Kwaïdan, qui avait obtenu le Prix Spécial du Jury à Cannes en 1965, est un film aux dimensions artistiques et philosophiques passionnantes, à découvrir ou à redécouvrir.
Suppléments
La bande-annonce d’époque donne de précieux renseignements sur la production du film. La galerie de photos est composée de photographies en noir et blanc et de photographies couleur d’exploitation. Les filmographies sont celle du réalisateur Masaki Kobayashi, et celles, impressionnantes, des acteurs Tatsuya Nakadai (qui fut l’interprète principal de nombreux films de Kurosawa) et de Tetsuro Tamba. Enfin, les liens internet permettent, à partir d’un PC, d’aller visiter les sites de Wild Side.
Ces suppléments peuvent paraître décevants, puisque qu’aucun document, aucune interview ne viennent les agrémenter, mais il faut reconnaître que le simple fait de disposer du film en version intégrale est une assez bonne raison de se procurer ce DVD.