Dans la série de vignettes rétro que consacre le duo de cinéastes Lev Kalman et Whitney Horn aux moments d’oisiveté d’une bande de graduate students, le désordre semble prédominer. Du montage abrupt qui nie la possibilité d’une continuité narrative entre les saynètes à la musique dance qui fait davantage signe vers l’esthétique de clips expérimentaux en passant par des dialogues frisant l’absurde, le tout semble en effet bien hétérogène. Cela est peut-être dû aux conditions de production et de diffusion de cet ovni arty qui fait défiler toute une famille d’acteurs de la scène du cinéma indépendant (Mati Diop, Benjamin Crotty) : le film a été produit avec les moyens du bord et il ne jouit en France que d’une sortie DVD et de projections limitées. Pourtant, au-delà de ce rendu artisanal, il existe bien un lien unissant ces diverses cartes postales animées de l’année scolaire 1992 introduites par une date et lieu écrits à l’encre blanche : toutes s’engagent à représenter un moment de vacance, une béance salutaire entre deux travaux, repos d’autant plus intéressant qu’il est celui d’intellectuels. Or, comme le demande l’un des personnages, qu’est-ce que le loisir lorsque l’on passe sa vie à penser ? Que veut dire le répit dans une existence que le film présente déjà comme une adolescence prolongée ? En nous confrontant à des personnages qui ne cessent de rechercher l’amusement pour n’atteindre qu’une certaine forme de relaxation (« I’m so mellow » passent-ils leur temps à s’exclamer), les cinéastes posent cette belle question et semblent suggérer qu’il n’est pas si facile de se distraire.
Sports psychédéliques
Dans la séquence finale du film qui alterne des plans sur les vaguelettes imprimées sur le sable par la mer et des images d’un homme marchant dans ce paysage accompagné d’un chien, une voix off définit ce qui est au cœur de cet opus expérimental. Il s’agit d’un nouveau type de sport, le sport psychédélique, défini comme le plaisir de se mouvoir dans l’espace, la joie de chercher à se frayer un chemin dans un environnement déroutant. Visuellement, dans L for Leisure, l’activité sportive est omniprésente. Par le biais d’un gros plan sur l’accessoire de leur choix, la caméra passe d’un match de basketball à une séquence de lutte gréco-romaine défiant le stéréotype de l’intellectuel apathique. Comme la danse dans les comédies musicales de Stanley Donen, la course à roller, ou le ski nautique sont autant de continuations naturelles de la marche et des déplacements de nos personnages. Pourtant, ces derniers sont rapidement épuisés, et en ce sens, le film alterne habilement ces quêtes frénétiques, ces voyages initiatiques et des séquences de sieste ouateuses, des dialogues où un personnage vertical essaie de convaincre une silhouette horizontale de s’arracher à son oisiveté. Par ce biais, les cinéastes offrent une jolie métaphore d’un esprit qui essaierait de se sortir de lui-même en vaquant à l’aventure, un esprit dont la santé serait aussi physique, mais qui se heurterait à son fondamental désir de paralysie. L’une des jeunes filles de la bande engageant un travail de terrain dans la forêt pour étudier les esprits des arbres en fournit un bon exemple. Égarée dans cette grande étendue végétale, on la voit finalement s’allonger sur un tronc puis déclarer son abandon face caméra : « Je crois être une personne paresseuse. »
Histoire et biologie
Les conversations entre ces apprentis professeurs sur des thèmes comme l’Histoire et la biologie servent moins de marqueur sociologique d’une certaine élite universitaire comme dans le film de Noah Baumbach intitulé Kicking and Screaming consacré au même segment de population, que comme des ouvertures spirituelles et métaphysiques sur une Nature dépassant le microcosme de l’université. Ainsi, par l’intermédiaire du jeu et du passe-temps, ce sont les règles de la biologie et de l’Histoire qui sont comme défiées par cette bande de grands adolescents que l’on peine à différencier les uns des autres. Tous les moyens sont bons pour remettre leur âge en question, s’approcher toujours plus près d’une jeunesse qu’ils voudraient n’avoir pas perdu : sur le campus, on s’embrasse plus que l’on couche ensemble et les tentatives de séduction consistent souvent en des scènes nocturnes d’action ou vérité avec des lycéennes ou des sessions prolongées de laser tag. Or, le film ne s’en tient pas à ce seul discours simpliste sur la thèse du retour en enfance. Au contraire, tout autour d’eux, également en suspens, le monde semble aussi avoir fait une cure de jouvence. Cela est tout d’abord dû à l’usage de la pellicule 16mm qui confère un effet désuet et muséal aux images que l’on dirait datées des années 90. Mais, le décor prolonge aussi de manière cosmique cette remontée dans le temps. Ainsi, lors de vacances réussies, quand les personnages gagnent finalement leur droit à la paresse, les strates du paysage sont exhibées comme en des temps ancestraux où les cellules humaines étaient en phase avec les molécules du paysage.