Réalisé par le monteur attitré d’Howard Hawks, La Chose d’un autre monde fait partie de ces œuvres fantastiques devenues mythiques au point d’inspirer un remake à John Carpenter en 1982, The Thing. Exemple de mise en scène (sobriété, fluidité), le film fait aujourd’hui l’objet d’une édition DVD à tout petit prix avec une image entièrement restaurée de belle qualité.
La Chose d’un autre monde fait partie de ces films de science-fiction d’une époque aujourd’hui totalement révolue : les effets spéciaux, loin de pouvoir faire exister des monstres difformes criant de vérité, se limitaient bien souvent à l’emploi ingénieux de maquettes et de décors en carton, encourageant les réalisateurs à utiliser le plus souvent possible le hors-champ pour provoquer l’angoisse du spectateur. Pour cette adaptation d’un roman de Campbell auquel John Carpenter sera plus fidèle lors de son remake de 1982, les deux réalisateurs ont donc dû faire preuve d’une constante inventivité pour rendre le monstre crédible et véritablement menaçant, c’est-à-dire en rendant son absence du cadre source de menaces réelles. La première source d’angoisse va donc naître de l’emploi astucieux des décors où la question du champ et du hors-champ prend tout son sens. Dans le champ, une base scientifique où la présence humaine rend le lieu relativement rassurant. En hors-champ, l’étendue arctique, la nuit, le froid et la tempête de neige permanente rappellent la totale inhospitalité des lieux où les êtres humains n’ont manifestement pas leur place. Pour dérégler cette frontière, il va donc falloir trouver un élément perturbateur qui rend le champ perméable au hors-champ.
Dans un premier temps, il est matérialisé par une onde de choc particulièrement violente localisée à plusieurs dizaines de kilomètres de la station. Curieuse de comprendre les raisons de ce tumulte dans cet océan de tranquillité, une équipe de chercheurs décide de se rendre sur les lieux. Là, elle découvre avec stupeur un effondrement de la banquise parfaitement circulaire et la présence, sous quelques mètres de glace, d’un étrange vaisseau et d’un être vivant. L’équipe prend l’initiative de ramener l’extra-terrestre à la base tout en prenant soin de ne pas le décongeler afin d’éviter toute mauvaise surprise. Malheureusement, l’inattention d’un des membres de l’équipe permet à la créature de s’extraire du bloc de glace menaçant la sécurité de tous les occupants de la base. La tension ne naît pas tant de la confrontation entre l’équipe et le monstre (finalement assez décevant lorsqu’il apparaît à l’écran), mais de cette paranoïa qu’il suscite chez les scientifiques au point de les diviser très clairement sur l’attitude à adopter à son égard. Qui est-il ? D’où vient-il ? Que veut-il ? Comment se reproduit-il ? Comment le vaincre ?
Cet ensemble de questions n’est bien évidemment pas dénué d’une lecture géopolitique. En 1951, lorsque Christian Nyby (monteur attitré d’Howard Hawks qui participa activement au projet) réalise ce film, les États-Unis sont en pleine guerre froide. La haine du communisme se double d’une paranoïa insensée à l’égard de l’URSS, terrain de tous les fantasmes les plus délirants sur la menace que représentait ce puissant pays opposé aux idéaux américains. Si la représentation du monstre, venu en territoire étranger pour se nourrir du sang des humains, donne l’impression d’un anticommunisme primaire, l’ambiguïté des personnages et la qualité des dialogues encouragent une autre analyse du film. L’un des scientifiques, titulaire d’un prix Nobel, adopte une attitude particulièrement ambivalente à l’égard de la créature. Seule à prôner une pacification des rapports en s’opposant à la suppression de la créature, il n’en reste pas moins fasciné par cet objet d’étude inédit. Inversement, les autres membres de l’équipe qui se sont mis en tête d’abattre le monstre tiennent un discours pacifiste en rappelant par exemple au scientifique le plus réputé que le travail sur l’atome ne s’était pas forcément soldé par une grande avancée. La Chose d’un autre monde est finalement une œuvre plus complexe qu’il n’y paraît, mais surtout un modèle du genre que RKO a eu la bonne idée de rééditer.