Ce devait être la dernière collaboration de Fred Astaire et Ginger Rogers, sept films ensemble et autant de succès pour le couple de danseurs le plus célèbre de l’histoire du cinéma. Ils reviendront cependant, dix ans plus tard, suite à un heureux concours de circonstance, avec Entrons dans la danse de Charles Walters (1949). La Grande Farandole a tout de même un air de salut final ; plus tragique, moins dansant que ses fameux prédécesseurs (Swing Time, Top Hat), il est également malheureusement moins réussi. La faute sans doute au concept de l’histoire « inspirée de faits réels », rarement convaincante au cinéma.
Ils popularisèrent la danse de salon et introduisirent le tango, le fox-trot ou la valse auprès du grand public américain dans les années 1910. Vernon et Irene Castle, jeune couple de rêve, furent les stars de ces années d’avant-guerre, avant que Vernon, engagé dans l’armée anglaise pendant la Première Guerre mondiale, ne décède tragiquement dans un accident d’avion. La comédie musicale ne pouvait que leur rendre hommage, tant une partie de son succès leur était dû ; et le choix des comédiens pour les interpréter allait tout naturellement vers Fred Astaire et Ginger Rogers, qui incarnaient déjà le genre (et la danse de couple notamment) dans les années 1930. Ginger et Fred étaient lassés de travailler ensemble, et avides de poursuivre une carrière individuelle (elle dans la comédie pure, lui toujours dans la comédie musicale, avec d’autres partenaires). Ils acceptèrent néanmoins de tourner ce dernier film ensemble, dont l’échec public ne fit que confirmer leur décision.
La Grande Farandole raconte la rencontre de Vernon et Irene Castle, alors que Vernon n’est qu’un comédien de troisième zone, et Irène une adolescente qui aspire à devenir actrice sans en avoir le talent. Leur mariage les décide à monter un spectacle ensemble, Vernon apprenant la danse à Irène. Mais les producteurs sont difficiles à convaincre… Jusqu’à la révélation, à Paris, et la gloire. Le gros problème du film est d’être terriblement bancal : la première moitié s’étend avec une lenteur infinie sur les débuts difficiles des Vernon quand la seconde saute les étapes à une vitesse impressionnante – le réalisateur jouant même d’une surimpression du couple dansant en une minute sur une carte des États-Unis pour illustrer leur première tournée. Pourquoi pas, a priori, si la méthode narrative est justifiée ; mais ici, cela se fait au détriment des danses, très peu nombreuses, et rarement complètes : au moment où les Vernon commence à avoir véritablement du succès, nous voici frustrés de ne découvrir que dix secondes de tango, puis dix secondes de fox-trot, puis dix secondes de valse. Un comble lorsqu’on a des danseurs aussi extraordinaires sous la main !
Parce qu’inspiré d’une histoire vraie, le film se veut plus réaliste que les précédentes collaborations de Ginger et Fred, caractérisées par des scénarios invraisemblables dans des décors de carton-pâte. Ici, on sent une volonté assez maladroite de raconter les années 1910 ; maladroite, mais plutôt intéressante tout de même, dans ce qu’elle illustre du star-system et de son utilisation publicitaire, très peu différents à l’époque de ce qu’ils sont aujourd’hui. Il faut voir ainsi comment les costumes des Castle ou les coiffures d’Irene inspirent les Américaines au point que toutes les modes vont s’unifier sous leur modèle (avec cette saynète très réussie où deux femmes se croisent et s’aperçoivent avec colère qu’elles portent la même robe – réplique de celle d’Irene Castle).
La Grande Farandole, pour la petite histoire, est le seul film, avec Amanda, qui montre Fred Astaire et Ginger Rogers échangeant un baiser. Il est surtout le seul à finir tragiquement, avec la mort du personnage interprété par Fred Astaire – ce qui dérouta le public et explique l’échec du film. Le ton de fin est alors un peu trop mélodramatique, ce qui ne convient pas du tout à l’esprit du couple. Mais Irene Castle ayant été conseillère sur le film, on ne pouvait sans doute s’attendre à moins que cet hommage un peu pompier. On notera également dans le rôle du fidèle domestique le génial Walter Brennan, dont c’était le quatre-vingt-septième film, mais qui n’avait pas encore accédé au statut de vedette. Il interprète ici un personnage plutôt contesté, puisque le véritable domestique des Castle était noir. Il est regrettable, mais finalement peu surprenant, que ce soit le seul élément du film qui ait dérogé à la vérité.
La Grande Farandole n’est certainement pas un indispensable de la comédie musicale américaine. Ceux qui ne connaissent pas encore Fred et Ginger iront plutôt les découvrir dansant « joue contre joue » dans Top Hat. Mais les inconditionnels auront tout de même un pincement au cœur à les voir dans les bras l’un de l’autre une dernière fois… avant la dernière.