Amanda est le huitième et dernier grand film du couple star de la RKO, Fred Astaire et Ginger Rogers. Le suivant, La Grande Farandole, fut un flop (sans doute explicable par le final tragique, auquel le public n’était pas habitué ou même une certaine lassitude vis-à-vis d’une recette trop éprouvée) et mit un terme à la collaboration des deux comédiens. Ils ne se retrouvèrent que dix ans plus tard, avec Entrons dans la danse, alors que leurs carrières respectives avaient pris des chemins différents. Moins connu que Top Hat ou Swing Time, Amanda n’est pas pour autant un film mineur : les amateurs de claquettes et de musique « swing » y trouveront toujours le plaisir innocent et léger qui a fait du duo Astaire/Rogers la plus grande réussite de la comédie musicale des années 1930.
Les comédies musicales mettant en vedette Fred Astaire et Ginger Rogers n’ont jamais été reconnues comme de grands films, pour cause d’absence de metteur en scène reconnu et de scènes comiques datées. Mark Sandrich n’est effectivement ni Vincente Minnelli ni Stanley Donen ; il ne démérite pourtant pas : son travail consistant essentiellement à mettre en valeur les séquences dansées, il sait à l’évidence où placer sa caméra pour que rien ne soit perdu des performances. Quant à la comédie pure, censée servir d’intermède entre les danses (quoiqu’elle occupe beaucoup plus d’espace en terme de temps filmé), elle n’a sans doute pas non plus la finesse des meilleurs Cukor ; mais, alors que les personnages secondaires d’un film comme En suivant la flotte alourdissaient singulièrement le film, les scènes d’humour d’Amanda conservent encore leur dimension burlesque, notamment parce qu’elles prennent pour cible la psychanalyse, mais aussi parce qu’elles sont, pour la première fois, confiées à l’actrice principale.
Amanda est en effet un festival Ginger Rogers. La jeune comédienne commençait alors à se dégager lentement de l’emprise de Fred Astaire sur sa carrière pour se concentrer sur des comédies pures, genre dans lequel elle excellait. Sous le masque de cette fascinante beauté se cachait en effet un véritable clown, capable des pitreries les moins glamour. Avec le rôle d’Amanda, jeune femme qui tente de faire soigner sa phobie du mariage par un psychiatre (Fred Astaire) et en tombe malencontreusement amoureuse, elle fait des merveilles et Sandrich a l’intelligence d’exploiter au maximum le potentiel comique de son actrice, laissant au film la possibilité d’acquérir un rythme plus soutenu que d’autres précédentes réalisations du duo. Hypnotisée par son médecin auquel elle n’ose pas avouer ses rêves, Amanda/Ginger est lancée par quiproquo en pleine nature, où elle sème la zizanie : retombant en enfance et roulant des yeux comme des soucoupes, elle casse des vitres, donne des coups de pied aux fesses des policiers, rend furieux les sponsors de l’émission de radio dont elle est censée vanter les produits, puis poursuit Astaire avec un fusil de chasse parce qu’il lui a mis en tête, pour qu’elle cesse de l’aimer, que « des hommes comme lui devaient être abattus comme des chiens ». Sandrich ose même finir son film en faisant assommer son actrice principale, gratifiée d’un énorme cocard lors de la traditionnelle scène de mariage…
Si Rogers domine les scènes comiques avec une aisance et une espièglerie qu’elle retrouvera dans des films comme Uniformes et jupons courts (Billy Wilder, 1941) ou Chérie je me sens rajeunir (Howard Hawks, 1948), Astaire est bien entendu le noyau central des scènes dansées. Perfectionniste implacable, qui travaillait en répétition jusqu’à épuisement de sa partenaire, il parvient toujours à effacer la complexité des chorégraphies (ici réalisées par Hermes Pan), faisant croire qu’elles coulent de source, comme si le passage du pas de marche au pas de danse n’était qu’une évidence. L’idée de lui faire jouer un psychiatre adepte des traitements sous hypnose permet de rendre hommage à son charme incroyable et à sa capacité à envoûter n’importe quelle femme dès qu’il tend les bras vers elle. Amanda, comme les autres films du duo, devient également pour le danseur un terrain de toutes les inventions : c’est la première fois qu’Astaire utilise le ralenti (ici dans une séquence de rêve), avant de réitérer l’expérience dans le fabuleux numéro « Steppin’ out with my baby » de Parade de printemps (1948). Dans son numéro solo, il fait virevolter un club de golf avec une virtuosité bien plus impressionnante que celle d’un golfeur professionnel. Alors qu’il la tient serrée dans ses bras, Ginger, avec qui l’alchimie a toujours été évidente, semble aussi légère qu’un fétu de paille, comme s’il suffisait à Astaire de claquer des pieds pour qu’elle s’envole… C’est sûr, s’il nous est permis de « changer de partenaire », comme le propose Irving Berlin dans la jolie chanson finale, c’est de Fred Astaire que l’on veut rêver.