Peu de temps après la sortie du long métrage Lascars (Pas de vacances pour les vrais gars), la parution de ce DVD permet de (re)découvrir la série originelle. On y trouve déjà en germe le style vif et le ton décalé du film, même si le trait est moins élégant et les couleurs plus ternes. Diffusée pour la première fois en 2000 sur Canal+, puis sur MCM, cette mini-série artisanale a su conquérir les écrans de télévision en France comme à l’étranger, avant d’envahir la toile, où son format mini est parfaitement adapté au streaming et au podcast.
Ces drôles de haïkus animés nous plongent dans un univers urbain où l’humour et l’ironie sont les maîtres mots. Certains effets d’animation, évoquant le dessin animé japonais pour les scènes de combat ou le style Tex Avery pour l’expressivité des visages, participent au sens de la dérision caractéristique de la série. En soixante épisodes d’une minute, une riche galerie de figures anonymes défile pour donner vie à des situations gênantes ou inattendues, qui fleurent bon le vécu. On reconnaît tout de même quelques-unes des silhouettes qui deviendront les protagonistes du long métrage, comme Tony Merguez ou Zoran. Si la série met en scène des personnages plutôt jeunes, issus de la banlieue ou influencés par cet univers, elle affirme l’étendue d’une culture hip-hop qui, sous toutes ses formes, s’est diffusée bien au-delà d’un quelconque périmètre géographique et social. Nombre d’épisodes s’attachent à montrer comment des idées préconçues peuvent conduire en erreur et comment le jeu des apparences peut générer l’inconfort. Quand un jeune homme au style streetwear demande une cigarette à un « costume-cravate », le second s’énerve contre « ces jeunes de banlieue qui se croient tout permis ». Il cède ensuite à la panique, pensant que le jeune va l’agresser. Le garçon, surpris et vexé, rétorque qu’il n’habite pas en banlieue et tourne les talons en constatant que les cigarettes de cet hystérique ne sont pas à son goût. Dans l’univers Lascars, la situation peut aussi s’avérer douloureusement comique lorsque l’on cherche à passer pour celui que l’on n’est pas, comme cet apprenti boxeur frappant le pied d’un réverbère pour impressionner deux enfants et se tordant de douleur une fois ses jeunes admirateurs partis.
Les deux saisons de Lascars regorgent de situations où faux-semblants, quiproquos et combines stupides précipitent les personnages dans l’embarras. La série passe au crible un certain nombre d’idées reçues sur les jeunes et la banlieue, sans oublier non plus de se moquer de leurs travers. Difficulté de communication, misère sexuelle, envie de plaire et désir de réussite sont autant de sujets qui nourrissent des saynètes réalistes et drôles. Le miroir déformant de Lascars propose en fait de découvrir une forme de culture alternative et mondialisée, bien plus que de dépeindre un groupe social hexagonal. Si les décors de la série évoquent Paris et sa périphérie, les panneaux et les enseignes sont toujours fictifs et discrets. A de rares exceptions près, les lieux ne sont pas spécifiquement marqués comme français, mais inspirés plus vaguement d’un imaginaire collectif des ghettos. On ne s’étonnera donc pas que la série ait été traduite en de multiples langues et ait connu un succès d’estime lors de sa diffusion sur MTV aux États-Unis. Les caractéristiques visuelles transnationales de l’univers Lascars (décors, costumes, postures) constituent peut-être la clef de son succès médiatique et cybernétique, en permettant une identification large de la part de publics variés, sensibles à son esprit hip-hop.
En bonus dans ce DVD le « making of » de la première saison permet d’assister aux séances d’enregistrement des voix de différents épisodes, mises en parallèle avec la conception des personnages et de l’animation en 2D. Dans ce reportage aux allures de clip, on survole rapidement les coulisses d’une création artisanale et collégiale. Le « making of » de la deuxième saison nous en apprend davantage. Nous découvrons en peu plus le travail de répétition et d’enregistrement des voix pour cette saison riche de guest stars. Nous assistons à différentes phases de travail : conception des personnages d’après les indications scénaristiques, storyboard et prédécoupage, mise en scène et animation virtuelle, travail sur les expressions faciales, colorisation… Les témoignages des scénaristes, réalisateurs, graphistes et acteurs permettent de comprendre la chronologie des étapes de fabrication d’un épisode et de mesurer la complexité du processus. Ce « making of » est également l’occasion, pour les créateurs de la série, de revenir sur la genèse des Lascars et sur le succès progressif d’un programme qui rebutaient pourtant au départ de nombreuses chaînes, frileuses à l’idée de diffuser une série sur la banlieue. Le DVD propose deux autres bonus plus anecdotiques : des animatiques en 2D (toujours fascinants pour les non-spécialistes) et l’épisode zéro (« Ta mère », 1997), au trait encore hésitant mais au dialogue déjà ciselé.