Bombe à retardement au succès éclatant à la télévision (Canal +, MCM) et sur Internet, les personnages des Lascars poursuivent à présent leurs tribulations sur grand écran, dans un long-métrage plein d’humour et riche en rebondissements, où la jeunesse des banlieues est mise à l’honneur, croquée sans complaisance mais avec un joli sens de la dérision, par des artistes au style vif et ludique.
À Condé-sur-Ginette, banlieue fictive en proche périphérie parisienne, tout le monde rêve de vacances au soleil, loin de la rumeur de la ville, du bitume et des galères quotidiennes. Tony Merguez et José Frelate entendent abandonner temporairement leurs projets musicaux pour les plages de Santo Rico. Mais les deux amis se font arnaquer par une agence de voyage douteuse. Résultat : pas de vacances pour les vrais gars ! Difficile d’accepter d’être nargués par Narbé et Sammy, les Laurel et Hardy du quartier, qui doivent s’envoler vers les plages de sable fin, évidemment couverte de filles alanguies n’attendant qu’eux. José, résigné et sérieux, décide de renflouer ses comptes en réalisant des travaux dans la luxueuse propriété du juge Santiépi (« sans pitié » en verlan). S’il pénètre ainsi dans l’antre de la bête, c’est aussi pour approcher Clémence, la sensuelle fille du juge, qu’il convoite secrètement. De son côté, Tony, insouciant et maladroit, choisit de rassembler la somme nécessaire pour un nouveau voyage en vendant de l’herbe. Mais à part un prénom, Tony Merguez ne partage pas grand-chose avec Tony Montana ! Il doit malgré tout rendre des comptes à son fournisseur, le redoutable Zoran. Tony et José vont jouer de malchance et devront affronter la fureur féminine, le danger policier et la colère de la justice, tandis que Narbé et Sammy, de leur côté, passeront des vacances bien différentes de celles qu’ils avaient imaginées.
Le style visuel du film peut surprendre ceux qui ne connaissent pas la série originelle : le coup de crayon rappelle clairement l’esthétique graff chère aux créateurs de ce programme, qui ont construit l’univers de leurs lascars autour des motifs de la culture hip-hop. Si le trait est incisif et caricatural, soulignant défauts physiques ou attributs pulpeux, une certaine beauté se dégage de ces personnages évoluant dans des décors stylisés. Le jeu sur les effets de matière et de profondeur, tout comme le mélange de 2D et 3D, contribue à la dynamique visuelle d’un univers fictionnel unique. Les effets de lumière et la vivacité des couleurs donnent un nouveau visage à la périphérie parisienne, loin de l’image éculée mais encore vivace de banlieues toujours grises, où l’on serait condamnés à la tristesse et à la morosité. La banlieue du film Lascars est tout aussi lumineuse et colorée que leurs habitants sont excentriques. Nous sommes évidemment dans une caricature excessivement positive, mais cela est tout de même bien plaisant de révéler le bon côté de la « racaille » et de se débarrasser des fripes de la misère sociale, pour se laisser emporter par ces drôles de banlieusards, aussi gauches qu’attachants. Les « jeunes de banlieue » de ce film sont des êtres éminemment comiques, mais ils ne sont jamais ridicules ou ridiculisés. L’empathie des créateurs du film (auteurs, dessinateurs, acteurs…) pour ces individus poissards est communicative. Il se dégage même une impression de familiarité : on a tous rencontré un Tony Merguez ou un Narbé, que l’on ait grandi dans une cité ou non.
Si l’on admire toujours la performance technique que représente la longue fabrication d’un film d’animation, il est nécessaire de le juger selon des critères cinématographiques plus classiques pour dépasser cette fascination spontanée. La qualité de Lascars réside en effet aussi dans la gestion du récit. Alors que la série était composée d’épisodes d’une minute, centrés à chaque fois sur un personnage, une anecdote, un effet comique, l’intrigue du film s’étale sur une heure et vingt minutes. Le changement radical de format et de durée pouvait créer un doute quant à la qualité scénaristique du film. Or, il n’est en rien. Le scénario d’Alexis Dolivet, Eldiablo et IZM (trois des créateurs de la série) est riche en rebondissements et propose une gestion habile de la choralité, se concentrant davantage sur Tony et José, sans jamais sacrifier les autres personnages, tous confrontés à des situations inhabituelles, tantôt gênantes, tantôt rocambolesques. Si les auteurs jouent clairement la caricature, les personnages ne sont pas tous monolithiques pour autant. Certains se révèlent bien différents ou plus complexes que leur apparence ne le laisserait supposer (ex : Manuella, la copine de Tony, ou Zoran, le gangster). Bien qu’elles soient toujours dotées d’une chute de reins incroyable et d’une poitrine abondante, les femmes de Lascars ne se réduisent pas à des corps : Manuella, Clémence et Jenny (la cousine de José) affirment leurs volontés et leurs désirs, sans se laisser contrôler ou contenir par un quelconque dictat du sexe opposé. La virilité masculine, exacerbée dans le contexte périurbain, n’est qu’une façade que ces femmes de caractère font tomber allègrement, augmentant le pouvoir comique d’hommes mis en défaut.
Depuis ses débuts à la télévision en 2001, l’aventure Lascars constitue un projet collectif atypique, porté par un groupe d’amis issus du milieu hip-hop : les graphistes Boris Dolivet/Eldiablo, Alexis Dolivet, Lalole, Numéro 6, Cap1 et les rappeurs Lucien « Papalu » et IZM. En toute intelligence et en toute modestie, ils ont fait appel à un duo sorti de l’école des Gobelins, Albert Pereira-Lazaro et Emmanuel Klotz, pour prendre en charge la réalisation du long-métrage. Une démarche louable et payante. La qualité d’interprétation des comédiens, dont les voix ont été enregistrées en studio avant la conception des images, participe aussi grandement à la réussite du film. Vincent Cassel, Diane Kruger, Gilles Lellouche et les autres sont aidés par des dialogues ciselés, parsemés d’un vocabulaire imagé et d’expressions quasi-dialectales, participant pleinement à la partition générale de ce film hip-hop. Si certaines expressions peuvent désarçonner le « non-banlieusard » ou le « non-jeune », leur signification demeure compréhensible de façon contextuelle. Le film vise ouvertement un public jeune, mais il serait dommage de le considérer comme un produit à destination exclusive des 12 – 25 ans. Cette vision drôle et bienveillante de la jeunesse urbaine mérite que l’on s’y attarde, puisque ici qualités techniques riment avec justesse d’interprétation et maîtrise du récit. Lascars est l’exaltation d’une culture urbaine transnationale, vive, inventive, constructive, d’une culture métisse et chaleureuse, à l’image de sa bande-son, composée par une pléiade de chanteurs et rappeurs français et américains.