Il ne faut pas confondre ce Manoir de la terreur avec celui réalisé en 1981 par Andrea Bianchi : là où le second est une foire aux zombies au gore malsain supportée par un script absurde comme il faut, le film d’Alberto De Martino qui nous occupe, – et pour lequel son réalisateur prit le pseudonyme de Martin Herbert –, joue avant tout des ambiances. Vieille bâtisse gothique, famille aux multiples squelettes dans le placard, malédiction ancestrale rendant fou… C’est bien vers l’Edgar Allan Poe de La Chute de la maison Usher et de La Tombe de Ligeia que penche ce film réalisé en 1963 – une date qui tombe en plein dans le cycle consacré à Edgar Poe par Roger Corman, et ce n’est pas un hasard, tant celui-ci a déjà, à cette époque, été profitable à son auteur. Les producteurs ne prennent donc pas vraiment de risque avec ce film, qui sait pourtant se démarquer de ses cousins baroques venus d’outre-Atlantique.
La demeure de l’épouvante
Alors que Le Manoir de la terreur débute sur une vue au kitsch inénarrable d’une jolie maquette derrière un rideau de pluie, Alberto De Martino prend vite ses marques, et parvient à rendre justice au château dans lequel il a tourné : des coursives enténébrées mènent à des salles imposantes, ornées d’accessoires à la lourdeur notable – toujours de quoi figurer la psyché collective d’une famille frappée du sceau d’une malédiction dont l’issue est toute proche, et qui rendrait les derniers patriarches fous. Rien de bien neuf, donc, sous le soleil blafard de la maison Usher, mais De Martino et son directeur photo Alejandro Ulloa savent jouer de leur décor avec talent.
Le maître des lieux se prénomme évidemment Roderick (mais pas Usher), et est interprété par un Gérard Tichy qui semble peu à son aise dans le rôle du dernier de sa lignée, hantée par une folie héréditaire. Il est flanqué d’un médecin douteux, joué par un Leo Anchóriz qui doit peut-être son rôle à son air de famille avec Vincent Price, vedette de la série des Corman-Poe. Face à eux, un trio de femme, dont l’une est la sœur du Roderick susnommé, cible de la malédiction : elle est vite éclipsée par la vision du film, Helga Liné qui campe un personnage de marâtre au port hautain et à la coiffure fabuleuse, qui rejoint immédiatement la fiancée de Frankenstein au Panthéon des personnages féminins iconiques du cinéma fantastique. Elle annonce d’ailleurs ici son rôle dans les formidables Amants d’outre-tombe, deux ans plus tard.
Nébuleux dans son adaptation de Poe, Le Manoir de la terreur tente avant tout d’en évoquer l’essence, avec un certain succès. Mesmérisme, malédiction, mensonges sont au rendez-vous, pour une intrigue toute en circonvolutions, qui ne va pas là où on l’attend. Probablement pas assez habile dans son labyrinthe narratif, le film parvient pourtant à se faire une place honorable dans les adaptations de Poe. Il marque aussi le lien, involontairement sans doute, entre l’épouvante à la Hammer voulue par Corman et les outrances baroques du cine de terror espagnol, alors encore embryonnaire. Comme d’habitude, les éditions Artus agrémentent cette édition destinée aux cinéphiles d’une iconographie somptueuse et de bonus intéressant, la part du lion revenant au chronique Alain Petit, toujours présent et toujours aussi passionnant pour ce qui tient à la remise en contexte de l’œuvre.