Film méconnu présenté sur les écrans de manière confidentielle en 1996, Le Rocher d’Acapulco sort aujourd’hui en DVD grâce aux bons soins de l’éditeur La Vie Est Belle qui ne fait décidément pas dans le consensuel. Si le film peut créer encore aujourd’hui un malaise à la manière dont il décrit les rapports humains, il fait surtout office de véritable OVNI dans le cinéma français. Parfois complaisant, souvent sans concession, le travail de Laurent Tuel mérite néanmoins qu’on y porte une nouvelle attention.
D’un côté, il y a Sandrine, jeune femme de 21 ans, frêle et renfermée. De l’autre, il y a Gérald, homosexuel trentenaire, ex-petit copain du frère de cette dernière. Le Rocher d’Acapulco raconte leur relation, loin du frère/ex-petit ami grâce auquel ils se sont connus. Tout semble pourtant bien commencer : Gérald recueille Sandrine chez lui pour la sortir de la précarité et d’une certaine solitude affective. Seulement, le terrain est instable du côté de la jeune femme : mutique, souvent inexpressive, elle enchaîne un malaise sur son lieu de travail et une crise d’hystérie qui l’amène à se mutiler dans la misérable chambre qu’elle loue dans un petit hôtel miteux. Son arrivée chez Gérald laisse espérer que c’était l’absence de cadre et d’écoute qui nourrissait ces grosses névroses et que la présence bienveillante d’un ami serait un remède efficace. Mais de ce côté-là, le terrain ne donne pas non plus envie d’y bâtir un chez soi. L’homme a pour principal confident un poisson rouge maintenu dans un bocal, drague dans les pissotières, s’adonne à des trips sadomasochistes et l’encourage à se prostituer sur Minitel pour mieux gagner sa vie.
Il n’est pas difficile d’imaginer que cette situation ne va pas permettre à cette étrange amitié de prospérer. Le premier satisfait ses fantasmes de voyeur à voir la seconde s’avilir au contact d’hommes vicieux et peu ragoutants. Malléable à l’envi, la jeune femme ne manifeste ses émotions que par fulgurances dévastatrices. Pour qui peut manifester une curiosité pour cette relation qu’il serait difficile de trouver bien saine, le réalisateur ne rend pas la tâche confortable : le corps est souvent malmené et présenté comme l’antre d’un désir glauque, l’image se veut réaliste (éclairages naturels, décors dépouillés), la caméra est souvent posée de manière frontale mais se (com)plaît parfois à frustrer le voyeurisme du spectateur. Sans avoir peur du cliché, on pourrait facilement dire que la démarche de Laurent Tuel est radicale, tant elle ne cherche pas l’empathie du spectateur pour des personnages qui ne sortent jamais héroïsés des situations les plus extrêmes qui se présentent à eux.
Mais, au bout du compte, la démarche du réalisateur reste assez obscure. Le Rocher d’Acapulco semble décrire avant tout la solitude de deux personnages qui croient probablement pouvoir rejoindre l’autre par le biais d’une sexualité qui s’affranchit des normes, des tabous et des interdits. Sans jamais faire l’objet de jugement sur les actes commis (et c’est probablement là que le film trouve sa plus belle force), Laurent Tuel n’a pas pour autant la moindre sympathie pour des personnages qui, au-delà d’un point-limite, voient leurs chemins se séparer, soit pour s’élever vers la lumière (grâce à un amour ignoré jusqu’ici), soit pour sombrer dans les ténèbres (pitoyables conséquences d’une limite trop vite franchie). On pourra tiquer du coup sur le caractère froid et impitoyable de ce schéma qui offre aux uns la rédemption et aux autres la damnation, d’autant plus que, rétrospectivement, on se dit que le réalisateur n’offrait pas en 1996 une vision de l’homosexualité très moderne et reluisante (on n’est pas très loin du cliché de la perversion). Reste que les personnages, admirablement interprétés par Margot Abascal et Antoine Chappey dont le visage n’était pas encore familier du cinéma français, semblent eux-mêmes dépassés par ce qu’ils vivent, cherchant parfois à théoriser la mise à distance d’enjeux affectifs qui, sans s’en rendre compte, finissent par les tuer à petit feu.