On ne peut pas dire que les adaptations de BD au cinéma aient donné des résultats très probants ces dernières années en France, en prise de vue comme en animation, par leur propre créateur ou un tiers. En témoignent par exemple Poulet aux prunes de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Le Chat du rabbin de Joann Sfar ou encore Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier. Adaptation indirecte (notamment de l’album Retour au collège) de sa propre œuvre, Riad Sattouf s’en sortait avec les honneurs avec Les Beaux Gosses, où il parvenait à inscrire quelque chose de frondeur et cruellement drôle, avec une infusion bien dosée de l’exagération cartoonesque dans le cadre cinématographique. Pour l’heure, c’est donc au tour du Combat ordinaire de Manu Larcenet d’être cuisiné à la sauce cinéma, par Laurent Tuel.
On suit les pérégrinations de Marco (Nicolas Duvauchelle), un trentenaire névrosé et sujet à des crises d’angoisse carabinées ; ce photographe ayant écumé le monde et ses douleurs s’est mis au vert – au fin fond de la campagne française. Les albums signés Larcenet se situaient dans un croisement plutôt habile du romanesque et du prosaïsme quotidien – sans éviter des formes de complaisance. Le menu est copieux : les doutes quant à la direction à donner à son existence, les amours (Marco s’entiche d’Emily, le joli brin de fille du coin), le vent de l’histoire (le voisin qui n’a pas toujours été ce vieillard de bonne compagnie, notamment en tant que militaire en Algérie), les parents qui vieillissent et le père qui perd la boule, l’engagement politique (les élections de 2002, la gauche vacillante et l’ombre du FN qui se précise)… Resserré et troué d’ellipses par rapport aux quatre albums, Le Combat ordinaire est toutefois fidèle au déroulé du matériau originel, à son régime visuel (courtes séquences en noir et blanc, segments oniriques, contemplation de paysages bucoliques, urbains, industriels) et narratif (dialogues classiques, voix-off introspectives, reprise partielle du chapitrage des BD).
Effets et formules
Le film s’est fait dans la conscience des écueils du mouvement entre BD et forme-film, mais le résultat laisse tout de même très dubitatif. Notamment ce choix presque systématique de cadrer serré les dialogues avec des changements d’axe assez improbables, de brusques coups de zoom, le tout avec une caméra branlante parce qu’elle est portée. Laurent Tuel noie globalement son film sous ces effets dans un volontarisme qui ne crée pas grand-chose d’autre que leur visibilité. Le comble étant assurément lorsque Marco travaille à son projet sur un chantier naval ; alors qu’il prend en photo les gueules burinées des dockers (et anciens collègues de son père), on sent la lumière des réflecteurs se planter sur leurs traits ainsi que toute la lourdeur du plateau de cinéma dont on se demande s’il ne va pas s’inviter dans le champ. Et comme Le Combat ordinaire met ainsi en scène la photographie, il est difficile de résister à la facilité d’écrire qu’il fonctionne essentiellement par clichés : sur l’amour, sur la politique, sur la société, avec un côté « populo » bon teint parfois embarrassant.
Le truchement du cinéma n’est sans constituer le miroir grossissant de la BD de Larcenet : un support assez idéal d’identification et de projection pour un lectorat adulte et plutôt urbain, éduqué et progressiste à tendance mélancolique pas très stable dans l’existence – avec éventuellement en tête un vague projet d’installation néo-rurale. En fait Le Combat ordinaire c’est un peu une leçon de vie par séquence, le plus souvent avec des maximes sur-écrites invitant à savoir apprécier ces petites choses qui font le sel de l’existence – un aperçu : « C’est la nature qui fait des cadeaux, pas le contraire » ; « La vie sans lui est tout de même la vie » ; « Faire des enfants Marco, ça fait de nous des hommes meilleurs ». Cette dernière formule issue d’un échange entre Marco et son père rend compte de la tournure antipathique du film. Ceci en raison de son fonctionnement très centripète autour du personnage de Marco et de la façon dont la douce et aimante Emily est condamnée à attendre que le mâle règle ses névroses avant de bien vouloir partager son existence, et ensuite de daigner planter sa graine dans son ventre.