Réalisé en 1926, Les Aventures du prince Ahmed est une merveille de l’animation de silhouette, par la pionnière du genre, Lotte Reiniger. Variation très libre sur les Mille et Une Nuits, le film ressort aujourd’hui dans une version restaurée d’après une copie anglaise, l’original ayant été perdu, et agrémenté de la voix-off française d’Hanna Schygulla. Au moins aussi digne d’intérêt que le très populaire Princes et Princesses de Michel Ocelot, Les Aventures du prince Ahmed permet surtout de se rendre compte du travail insensé réalisé par Lotte Reiniger et son équipe.
Le prince Ahmed, fils du Calife et frère de la belle Dinarsade, s’oppose un beau jour au vil mage africain venu dans l’espoir d’enlever sa sœur. Ce faisant, il se trouve emporté sur le cheval volant invoqué par le mage, commençant un périple où il croisera la belle Pari-Banu, reine des démons de Wak-Wak, divers démons et succubes, la terrible sorcière de la montagne de feu, Aladin lui-même (avec son génie) et jusqu’au roi de Chine. Rocambolesque, le récit des aventures du prince Ahmed ressuscite sans peine aucune le merveilleux des Mille et Une Nuits par l’entremise des silhouettes mises en scène par Lotte Reiniger. Si l’animation des personnages, élégante et précise, ne cesse d’étonner, à près d’un siècle d’écart, le spectateur, c’est avant tout l’inventivité visuelle de Lotte Reiniger qui frappe à la vision de ces Aventures. La colorisation de la pellicule, tout d’abord – une prouesse pour un film de 1926, mais également la dynamique de l’animation, la profondeur du champ, étonne et subjugue.
Ainsi, très rapidement, le sentiment propre à la vision d’un film de silhouette – donc d’un film sans relief ni caractéristique physique autre que l’ombre du corps – disparaît, effacé à la fois par le sens impressionnant de la dramaturgie de Lotte Reiniger et par ses innovations visuelles de second plan. Ainsi, la séquence de l’invocation du cheval par le mage africain, celle de l’apparition du génie de la lampe, ou encore l’éruption de la montagne de feu sont des séquences d’une beauté visuelle fascinante, même si l’on oublie les contraintes techniques redoutables propres au film de silhouettes. Le piège de la vision d’un film qui se pique de posséder une narration non-anthropomorphique, où le spectateur peut donc difficilement s’identifier, et de ne briller que par sa capacité à évoquer l’identification. Mais foin de cela chez Lotte Reiniger. La réalisatrice donne une vie réelle à ses personnages – à tel point que Pari-Banu, la belle reine des démons qui se change en oiseau grâce à un voile de plumes, resplendit réellement d’une beauté fascinante, et que les courtes scènes où le prince Ahmed se voit courtisés par les succubes de Pari-Banu sont on ne peut plus… troublantes.
Rapidement, donc, l’émerveillement de se voir emporté malgré l’inconfort du média visuel dans le récit laisse place à une réelle passion pour les Aventures du prince Ahmed, dans un conte au charme très proche des Milles et Une Nuits – une thématique largement réexploitée, également, dans les courts métrages présentés en bonus, dont certains rejouent d’ailleurs les évènements déjà racontés dans les Aventures du prince Ahmed, avec de subtiles différences. Ainsi, Aladin et la lampe merveilleuse et Le Cheval volant reprennent des pans entiers des les Aventures du prince Ahmed – avec des différences assez réjouissantes. Dommage qu’on ne sache pas vraiment à qui Lotte Reiniger destinait ces contes, réalisés près de 30 ans après les Aventures du prince Ahmed.
En exergue de ces déjà nombreux films de Lotte Reiniger, l’édition simple du DVD (qui comprend dans sa version de luxe un second DVD de courts métrages et documentaires, ainsi que de nombreux « cadeaux » divers) proposent deux reportages, l’un datant des années 1970, présentant Lotte Reiniger, qui est décédée en 1981, dans ses œuvres ; tandis que le second donne la parole à Hervé Joubert-Laurencin pour une analyse d’une remarquable pertinence de la place de l’œuvre de Lotte Reiniger dans l’animation, mais également dans l’histoire du cinéma. Dans les deux versions, un packaging soigné achève d’agrémenter cette belle édition d’un remarquable film, alternative salutaire à une probable marée ch’ti sous les sapins de Noël.