Défendre le Nord-Pas-de-Calais est un véritable casse-tête pour qui en est natif et fier de l’être. Le froid (polaire), le chômage (endémique), l’alcoolisme (irrépressible), le langage (extraterrestre): des clichés qui ont la vie dure et dont Dany Boon avait déjà fait un spectacle réussi, en ch’ti sous-titré pour les novices. Sans surprise, le comique aux oreilles en chou-fleur y a trouvé matière pour un second long-métrage, où il tient la triple casquette de réalisateur/scénariste/acteur principal. Verdict ? Un film véritablement populaire, moins honteux que d’autres, mais balançant entre un désir sincère de rendre hommage et une absence prévisible de talent cinématographique.
Heureux habitant du Sud de la France, Philippe Abrams est victime d’une mesure disciplinaire sur son lieu de travail et muté pour deux ans à Bergues, près de Lille. Sa femme et son fils refusent de l’accompagner, convaincus qu’il y fait moins 40 degrés et que leurs orteils vont geler. Traumatisé, Philippe part, une énorme parka sur le dos, affronter une population qu’il méprise et déteste d’avance. Grossière erreur : après quelques jours d’adaptation, dus notamment à la difficulté de comprendre ces gens qui prononcent les « s » comme des « ch », Philippe apprécie tant et si bien la région et ses chaleureux habitants qu’il va confirmer leur célèbre diction : « Quand tu viens din ch’Nord, tu brais deux fois : quand t’arrives et quand tu r’pars. »
Séance de rattrapage pour ceux qui n’auraient pas vu le spectacle ch’timi de Dany Boon : Bienvenue chez les Ch’tis réutilise une grande partie de ses meilleurs gags, de la « baraque à frites » au « j’t’appelle et j’te dis quoi » en pensant par le fameux « hein ? » correspondant au parisien « pardon, je n’ai pas bien saisi le sens de votre question»… Fidèle à la culture de sa région, qu’il connaît sur le bout des doigts, Dany Boon s’adresse en priorité à ceux qui la partagent. Le film est d’ailleurs sorti depuis une semaine dans le Nord-Pas-de-Calais. Mais Bienvenue chez les Ch’tis est aussi une tentative malhabile de trouver un public plus large, de faire la promotion d’une région mal-aimée auprès de ceux qui la détestent sans la connaître. Enfermé dans la volonté de plaire à différents types de spectateurs tout en répondant aux codes gras de la comédie à la française, Dany Boon n’a pas assez de talent pour que son film décolle du gentil cinéma populaire, tributaire d’un De Funès ou d’un Bourvil, à quelque chose d’un peu plus profond. Les véritables Ch’tis, qui auront compris les gags avant tout le monde, penseront sans doute que Dany Boon en fait un peu trop. Quant aux autres, qui ne comprendront peut-être rien du tout, ils n’y verront qu’une comédie inutile de plus.
Devrait-on s’en étonner ? La mode actuelle voudrait que les pros des one-man-shows puissent être également des réalisateurs (à quand un film de Bigard ou de Muriel Robin?), forts de leur expérience de mise en scène dans des comédies de boulevard. Parce qu’on leur a donné de l’argent et beaucoup de subventions (pour diffusion à fort audimat le dimanche soir), ces apprentis cinéastes se croient capables de tout, mais leur inexpérience est flagrante à l’écran. Dany Boon en est un parfait exemple : jamais la mise en scène ne se met au service du comique, presque uniquement de dialogue, la caméra semblant posée au hasard, par pure fainéantise. Les comédiens disent leurs dialogues avec autant de conviction qu’un amateur de blagues frustré de ne pas avoir de public pour en rire avec lui.
Le problème, évidemment, ce n’est ni les gags (parfois réellement hilarants, souvent poussifs), ni le casting, inégal (Zoé Félix complètement égarée, Kad Merad correct). Sans surprise, Bienvenue chez les Ch’tis n’est souvent pas plus qu’une succession de sketchs, sans effort de mise en scène, sauf dans quelques rares séquences, telle l’envolée poétique au-dessus du beffroi de la ville de Bergues, véritable déclaration d’amour, trop courte, à l’architecture nordiste. On ne pourra pas accuser Dany Boon de ne pas avoir mis beaucoup de lui-même et de bonne volonté dans Bienvenue chez les Ch’tis, à l’inverse d’autres films dégoûtants de mercantilisme, comme Les Bronzés 3 ou le dégueulasse Astérix aux Jeux olympiques. C’est déjà ça, dirait-on par pure gentillesse, mais ce n’est pas du cinéma.