Ressorti sur les écrans à l’été 2007, Mikey & Nicky fait partie de ces films oubliés que l’éditeur Carlotta a le bon sens de remettre au goût du jour. Elaine May, jeune réalisatrice de 34 ans, s’inscrit ici dans la continuité du travail esthétique de John Cassavetes qu’elle dirige ici en compagnie de son ami Peter Falk. Un chef d’œuvre à redécouvrir absolument.
Nicky (John Cassavetes) se cache dans un hôtel, convaincu que la mafia le recherche pour l’abattre. Totalement paranoïaque, il est secouru par son ami Mikey (Peter Falk) qui l’incite à quitter les lieux pour trouver un endroit plus sûr. Commence alors une vague fuite sous forme d’errance, totalement déconnectée du temps et du quotidien, où l’enjeu va progressivement se déplacer sur les ambiguïtés d’une amitié fusionnelle entre deux hommes passés à côté du rêve américain. Film de la marge, Mikey & Nicky s’inscrit totalement dans la problématique centrale du cinéma de Cassavetes, privilégiant la liberté de l’acteur à une direction trop contraignante.
Ce n’est donc pas un hasard si la réalisatrice a fait appel à deux figures centrales du cinéma de Cassavetes : le réalisateur lui-même et son grand ami Peter Falk. Mais le terme qui correspond le mieux pour qualifier la performance des deux acteurs, ce n’est pas « figures » mais bien « corps ». En effet, à l’instar du film Husbands (1970), ce que filme la réalisatrice, ce sont deux corps d’hommes qui se heurtent continuellement à la réalité d’un monde qu’ils n’acceptent pas en tant que tel. Nicky, traqué par la mafia, sait surtout que l’annonce de sa propre mort le condamne à un jugement sévère sur tout ce qu’il a pu rater dans sa vie. La précipitation, l’accélération, la chute ou encore la gifle sont ici les signes les plus flagrants d’une fuite désespérée devant une réalité trop brutale, tout comme les maris de Husbands cherchaient à s’enivrer d’épuisement physique pour mieux supporter la disparition prématurée de l’un d’entre eux.
Mikey et Nicky errent donc dans les rues, sans autre but que de fuir un éventuel tueur essentiellement tenu en hors-champ. La caméra d’Elaine May adopte les mêmes partis pris que Cassavetes. Filmé à l’épaule et sans direction précise d’acteurs, Mikey & Nicky préfère les creux de cette cavale aux rebondissements scénaristiques. Les conversations entre les deux amis s’étirent à n’en plus finir : on revient sur la mort d’un frère ou encore sur l’enterrement d’une mère. La volonté de blesser l’autre est également manifeste : parce qu’il nage en plein délire de paranoïa, Nicky brise la montre de Mikey, le privant d’un des seuls souvenirs de son père. Loin d’être deux représentations du rêve américain, les deux amis sont à la marge, tels deux laissés pour compte incapables du moindre héroïsme.
Cruel, le film décortique la déflagration des relations humaines. Cette amitié ne semble tenir qu’à un fil (Mikey menace à plusieurs reprises de partir et d’abandonner son ami à son triste sort), mais surtout, les deux personnages se posent de plus en plus en rupture avec le monde qui les entoure. Dans un bar essentiellement fréquenté par une population noire, Nicky s’expose au violent mépris des clients en se risquant à une réflexion raciste. Selon ce même procédé d’entrechoquer une marge contre une autre, les deux comparses se retrouvent chez plusieurs prostituées qu’ils maltraitent assez piteusement. L’une est violemment giflée parce qu’elle refuse d’embrasser Mikey, l’autre est contrainte à les mettre dehors parce qu’elle ne veut plus jouer leur jeu. Cette spirale infernale achève d’isoler les deux amis dont on apprendra à la fin du film que leurs intérêts ne sont pas exactement là où on les avait imaginés.
Dans cette édition DVD, Carlotta ne propose malheureusement qu’un seul bonus. Vincent Amiel, rédacteur à Positif, intervient, face caméra, pour analyser le film et son importance dans le cinéma indépendant américain des années 1970. C’est un peu court et répétitif mais la joie de redécouvrir une œuvre aussi intéressante que Mikey & Nicky reste une motivation bien suffisante pour se procurer cette édition DVD.