L’ouverture de Novembre témoigne, il faut le reconnaître, d’une certaine efficacité. À Athènes, une troupe d’intervention menée par Fred (Jean Dujardin), un membre de la sous-direction anti-terroriste française, donne l’assaut sur la résidence d’Abdelhamid Abaaoud, membre de l’État Islamique qui sera bientôt l’un des organisateurs des attentats du 13 novembre 2015. Se déplie, grâce à un montage cadencé sur la pulsation de la musique et une caméra énergique accompagnant le groupe d’intervention, une scène d’action dynamique comme en contenait déjà BAC Nord. Mais Cédric Jimenez est moins bon cinéaste qu’artificier : au-delà de l’artisanat qui préside les scènes de tension, le regard qu’il pose sur la chasse à l’homme qui mènera, quelques jours plus tard, à l’élimination de deux terroristes à Saint-Denis, n’est pas sans poser problème. Si BAC Nord, indéfectiblement du côté de ses policiers justiciers, avait valu au réalisateur nombre d’accusations de complaisance, Novembre s’avère quant à lui plus pernicieux dans son portrait, finalement tout aussi élogieux et belliciste, des forces anti-terroristes et de leurs actions. Scénaristiquement accessoire, l’introduction montrant Abaaoud échapper aux autorités grecques expose l’idée d’un ennemi venu de l’extérieur : comme BAC Nord, le film rejoue le scénario de la forteresse assiégée – pour ne pas dire envahie – avec Fred se tenant droit et regardant au loin l’horizon, comme un soldat posté en haut de sa tour de guet.
Contre-enquête
D’entrée de jeu, Jimenez n’hésite donc pas à éluder ce qui constitue la singularité de ces groupes terroristes précisément constitués de ressortissants français ou belges, le point de vue chevillé au corps des policiers reléguant dans le hors champ ces mauvaises graines de la Nation. Ce portrait biaisé des événements passe notamment par une fausse promesse énoncée au début par Fred, qui demande à ses troupes de se concentrer uniquement sur les faits et de laisser leurs émotions personnelles en-dehors de l’enquête. On pouvait imaginer, à l’aune de cet impératif, un film qui se pencherait avec précision sur les mécanismes à l’œuvre lors de cette course contre la montre. Or la mise en scène de Jimenez contrevient vite à ce programme : la succession des mines accablées des policiers, empêchés par leur hiérarchie, alimente une forme de pathos les érigeant en nobles vengeurs. Plutôt que de dépeindre rigoureusement l’ampleur de la machine de surveillance déployée pour retrouver une poignée d’individus, Jimenez mise avant tout sur l’affect ainsi que sur un rythme soutenu donnant l’illusion d’une traque bien plus ardue qu’elle ne le fut réellement (l’affaire est in fine réglée en à peine cinq jours, grâce à une informatrice qui abrège les recherches). Seule une scène, impressionnante, parvient à illustrer le déséquilibre du rapport de force entre terroristes et policiers : lors de l’assaut final à Saint-Denis, une centaine d’agents ouvrent le feu sur la porte de l’appartement où les terroristes se sont retranchés et désintègrent progressivement le décor sous un torrent de métal. On regrette alors que la scène suivante, dans laquelle plusieurs policiers blessés sont évacués après la détonation d’une ceinture explosive, trahisse à nouveau la réalité des faits pour alimenter une forme de dramaturgie en faveur des troupes d’assaut (le film fait ici crédit à des déclarations préliminaires erronées de la part du RAID : il fut établi par la suite que les quelques blessures des policiers provenaient en fait de tirs alliés accidentels). Le « respect de la réalité des faits » énoncé par l’entremise des personnages se révèle ainsi, au mieux, comme une note d’intention se heurtant aux limites d’un sujet insuffisamment fédérateur, et, au pire, comme un voile derrière lequel dissimuler quelques manipulations.
Si Jimenez semble ouvertement prendre exemple sur Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow (traque sous pression d’agents terroristes, attention supposée aux rouages des opérations, photographie ombragée aux teintes ambrées et bleues acier), il trahit l’esprit de sa superbe conclusion mélancolique. Là où l’agente de la CIA chargée de traquer Oussama Ben Laden finissait seule dans un avion-cargo, bouleversée face à l’ampleur de l’entreprise contestable qu’elle venait de mener à bien, Novembre se referme sur un discours bravache : Fred explique qu’il faudra continuer la lutte contre ces ennemis intrus, aux visages placardés sur les murs à la manière des hors-la-loi du far west, appelant ses troupes à poursuivre la croisade.