Pour son troisième long métrage, Cédric Jimenez (Aux yeux de tous, La French) a choisi de mettre en lumière un événement crucial de notre histoire : l’assassinat en 1942 du général Reinhard Heydrich par deux jeunes soldats missionnés par les services secrets britanniques. Adapté de l’œuvre homonyme de l’écrivain français Laurent Binet (Prix Goncourt du premier roman en 2010), HHhH est construit en deux parties qui se font face et tentent de se répondre : l’une s’attache à dépeindre le futur monstre comme un « monsieur tout le monde » sombrant dans l’horreur et la folie, l’autre illustre, à travers le sacrifice d’un groupe de résistants, la capacité humaine à ne jamais abandonner la bataille en répondant avec d’autant plus de bravoure que la barbarie de l’ennemi est insoutenable. Mais malgré des interprétations très convaincantes, notamment de Jason Clarke et Rosamund Pike sous les traits du couple Heydrich, HHhH veut nous raconter trop de choses en trop peu de temps, et cela se fait au détriment de la consistance des personnages.
Une valse à deux temps
HHhH débute son récit à l’aube de l’arrivée au pouvoir des nazis, et nous assistons à l’ascension fulgurante de Heydrich qui gravit les échelons aussi vite qu’il sème la terreur. Figure emblématique du Troisième Reich, il est nommé protecteur de Bohême-Moravie par Hitler, qui lui confie également le soin d’élaborer la « solution finale ». Le réalisateur abandonne son personnage à la moitié du film, pour se concentrer sur Jan Kubiš et Jozef Gabčík, soldats tchécoslovaques engagés dans la résistance et parachutés à Prague pour mener à bien l’opération Anthropoid, nom de code de l’assassinat prémédité de Heydrich. Le choix de cette construction en deux temps porte préjudice au film de manière flagrante en terme de rythme, mais également parce que les partis pris de mise en scène et la temporalité sont tous à fait différents, rendant l’ensemble peu cohérent.
L’ascension de Heydrich s’étalant sur près de dix ans, la première partie est construite comme une suite d’ellipses à intervalles très réguliers, limitant le récit à un feuilleton monotone rythmé par les promotions de son protagoniste principal, les accouchements solitaires de son épouse, et des séquences d’exécutions à répétition agrémentées de giclées de sang sortant des boîtes crâniennes. Le réalisateur ne semble pas savoir où poser sa caméra et les plans s’enchaînent avec peu d’harmonie, comme décidés dans la précipitation. La seconde partie, dont le réalisateur aurait finalement pu se contenter, nous plonge enfin au cœur de son sujet et la tension monte à mesure que l’opération prend forme, les différentes étapes s’enchaînant avec fluidité : observations méticuleuses des moindres habitudes du général, avec en parallèle les relations qui se nouent entre les résistants et leurs familles d’accueil, préparation des armes et de l’organisation du jour J, tentative d’échapper à l’armée dès les secondes qui suivent le moment fatidique, puis les représailles sans merci de l’armée nazie. La mise en scène de ce second segment est plus adéquate à son sujet, alternant entre un rythme plus nerveux au moment de l’action avec la caméra au poing, et un calme de circonstance avec des plans plus longs aux instants graves. Pour signifier le temps qui passe, le réalisateur abandonne également l’ellipse au profit de scènes en accélérées, renforçant l’impression d’assister à un second film aux traitements narratif et esthétique divergents.
Le film laisse un goût d’inachevé avec l’amorce d’intrigues parallèles non développées, et semble trahir une hésitation de son réalisateur entre le biopic et le thriller sur fond de guerre. Mais à défaut de s’illustrer par sa forme et par un développement vraiment abouti, HHhH a au moins le mérite de son intention : vouloir faire vivre le souvenir de ces héros souvent oubliés.