Dans La Nuit du chasseur, l’inquiétant pasteur interprété par Robert Mitchum mimait dans une scène légendaire le combat entre l’Amour (LOVE) et la Haine (HATE), dont les lettres noires étaient dessinées sur ses doigts. Quelques années plus tôt, il semble forcément incongru de voir le même Robert dans une ode à l’amour, le vrai, le beau, l’unique, un amour tellement dénué de haine qu’un prétendant y cède la place à un autre avec un sourire béat. Il paraît que l’on appelle ce genre d’œuvre des « films de Noël ». Force est de constater que Noël n’inspirait pas plus dans les années 1940 qu’aujourd’hui.
Difficile de ne pas aimer un film avec un casting pareil (Robert Mitchum, Janet Leigh), un de ces films « méconnus » qu’on trépigne d’impatience de découvrir, à la recherche du bijou enfermé dans un mauvais tiroir – magie du noir et blanc et de la période RKO oblige. Certes, le cinéaste Don Hartman est un illustre inconnu (cinq films au compteur), mais sa première œuvre, It Had to Be You, jolie comédie romantique enlevée par la gouaille de Ginger Rogers, pouvait laisser augurer du meilleur. Certes. Mais il ne sert à rien de partir avec la meilleure volonté du monde, et l’envie d’aimer un film sans conditions, quand ce film n’offre pas grand-chose de plus qu’un maigre scénario, des acteurs peu convaincus (peu convaincants?), et une histoire d’amour à dormir debout.
L’histoire, donc : celle de Connie, veuve d’un homme mort durant la Seconde Guerre mondiale, maman d’un petit garçon qui est tout pour elle, aimée et poursuivie par deux hommes – l’un représentant la sécurité mais l’ennui, l’autre l’aventure mais l’insécurité. Mouais. Parce l’aventurier a les traits du mauvais garçon d’Hollywood, Robert Mitchum, il semble évident dès la première minute de film que Connie tombera raide dans ses bras. La façon dont elle y tombe, ceci dit, laisse songeur : le beau Robert devra d’abord lui faire une déclaration d’amour complètement inappropriée alors qu’il n’est même pas invité au repas de Noël familial, et l’autre concurrent devra ensuite lui laisser la place de bon gré – le revirement de situation ne prenant pas plus de quelques jours, entre Noël et le Nouvel An. Connie, dont la personnalité n’est pas plus épanouie que celle d’un poisson rouge, laisse les hommes prendre des décisions pour elle, petite héroïne fade, un véritable crime lorsque l’on sait par qui elle est interprétée.
Les films de Noël, décidément, ne réussissent pas à grand-monde. Les sentiments sont trop bons, trop mielleux pour y glisser un peu d’irrespect, d’inconvenance, de passion. Dans Un mariage compliqué, c’est peu dire que le rythme est mollasson: aucun quiproquo, aucun réel malentendu ne font redémarrer la machine qui semble en panne dès les premières minutes de film. La sauce ne prend pas, quelle que soit notre (réelle) bonne volonté. À ceux qui pourtant voudraient s’en rendre compte par eux-mêmes, on ne saurait que trop conseiller d’enchaîner ce visionnage par celui du véritable bijou du duo Janet Leigh/Robert Mitchum, tourné trois ans plus tard par Otto Preminger, Un si doux visage. Une troublante Janet Leigh, un ténébreux Robert Mitchum, et voilà notre cœur de cinéphile comblé.