La collection Côté Cinéma/Motifs, entamée en 2007 par un premier essai de Dominique Païni sur l’ombre, propose ici deux nouveaux titres, sur les nuages, et la lumière. Dans ces deux courts essais sur un motif cinématographique, Dominique Païni et Jacques Aumont articulent théorie et émotions poétiques, suivant le fil d’une subjectivité critique.
Écrire sur une attraction, partir de celle-ci, c’est déjà avouer un projet personnel, même s’il a volonté théorique. Les petits livres de Dominique Païni (L’Attrait des nuages) et Jacques Aumont (L’Attrait de la lumière), prennent acte de cette idée y compris dans leur taille : 78 pages illustrées, presque un grand article. En réalité, plus qu’un article ou un livre, les deux essais font penser à des cours, des cours de cinéma rédigés, projection exceptée. De ce qui pourrait apparaître comme un manque (bien que les films cités soient de réalisateurs particulièrement célèbres – Dreyer, Bergman, Godard – et, sans qu’on sache si c’est un fait exprès, communs aux deux auteurs – esprits et goûts partagés ?) s’inscrit de fait toute une réflexion, qui conclut l’ouvrage de Païni, sur le statut de la description comme re-création d’un film : « projetant sur [lui] le mouvement de mon imagination ». Décrire n’est pas une simple affaire de copie, il existe un art de la description ; peut-être est-ce une sorte de platonisme (une dévalorisation de la copie décalée du réel des objets filmiques) qui nous empêche de nous en apercevoir. D’autant que les films décrits (et la contrainte du format court joue aussi ce rôle-là) force les deux auteurs à choisir des films qui leur parlent (ou leur semblent parlants, ce qui est un peu la même chose), un peu comme Barthes qui décrivait dans son cours sur le Neutre son corpus, à peu près entièrement tiré de la bibliothèque de sa maison de campagne, et dont les livres qui ne lui parlaient pas (s’il les trouvait mal écrits, par exemple) n’étaient pas lus. Merveilleuse liberté de Barthes de ne lire que ce qu’il voulait, affirmant que même dans le cadre d’une construction théorique (ce qui était le cas dans Le Neutre), la subjectivité du théoricien primait et devait primer sur le surmoi de l’exhaustivité du chercheur.
Ici néanmoins, le projet est différent, car le point de l’écrit théorique est celui d’une obsession personnelle (motif et non sujet, comme celui du Neutre de Barthes). Jacques Aumont avoue en fin d’ouvrage : « J’ai conscience, au terme de cette flânerie, d’avoir privilégié certains films, certains cinéastes, certaines idées esthétiques. Un livre systématique sur la lumière au cinéma se serait davantage attardé sur les effets documentaires de la lumière, et aussi sur les effets dramatiques. » et, plus loin : « On pourrait écrire une histoire du cinéma par celle de ses styles lumineux, celle des goûts et dégoûts qui s’y trahissent : la lumière est aussi, avant tout, un opérateur stylistique. Je n’ai pas tenté de faire cette histoire, ni l’esthétique qu’elle suppose. » Dominique Païni, quant à lui, avoue dès le départ son désintérêt pour le romanesque, la fiction et considère les nuages comme des ralentisseurs, des possibilités d’évasions de celle-ci. Surprise de ce qui s’apparente presque à une confession : « Il est fréquent que les cieux parsemés de “flocons légers” et de “duvets blancs” me soient des refuges pour conjurer l’indifférence, sinon le dédain, dans lesquels me plongent des œuvres de la peinture et du cinéma. » Plus que des livres à volonté didactique (comme ceux de la collection « Les Petits Cahiers », sur lesquels tout jeune cinéphile se jette en début d’apprentissage), c’est une volonté poétique qui est ici à l’œuvre, poésie de ce qui est vu, et dit. Sans que les livres soient pour autant de pures « flâneries » autobiographiques : il y a un véritable projet théorique, mais il suit les lignes plus courbes des goûts. Le choix des films cités est celui d’un émerveillement, portant sur une part de cinéma : voyons ce que le cinéma donne si on le prend par le biais d’un motif.
Or décrire le motif (comme on dirait « peindre sur le motif »), c’est aussi apporter à l’analyse de cinéma un ailleurs moins abordé, moins direct que pourrait l’être l’analyse du film (effets de réalisation, jeu des acteurs, travail du sens). Si Païni prend d’abord les nuages sous le sceau de l’ennui, de l’évasion et du décrochage de la fiction, c’est pour mieux les rapprocher des émotions humaines, d’une sensualité, en somme des humeurs intimes. Aumont, par le biais de la lumière, cherche à se rapprocher du matériau même du cinéma, des effets psychologiques de la lumière, des impressions, de l’exposition sensible (de la pellicule et du spectateur). Chacun déroule une piste, cherche à donner le plus possible d’expression au motif de départ, observe son déploiement théorique, sans volonté de systématiser, en étudiant ses multiplicités comme les différents sens déroulés d’un même mot.
Ainsi, les essais théoriques qu’ils proposent s’apparentent à des cours passionnés, où la subjectivité joue à différentes échelle, et développe (c’est, nous croyons après lecture de plusieurs de leurs ouvrages, l’ambition des éditions Yellow Now) une autre écriture sur le cinéma. La subjectivité, les choix, les goûts affirmés, exposés, le désir d’aller voir ailleurs ouvre à la fois le champ théorique, mais aussi le champ esthétique. Barthes avait fait de la fragmentation non seulement un style (avec toute l’étendue merveilleuse de ce mot), mais aussi un mode de pensée novateur. Nous attendons avec impatience d’autres livres sur d’autres motifs, qui, ajoutés, pourraient donner au cinéma un regard décalé, plus proche du ressenti, comme mettant en parallèle (Païni l’évoque d’ailleurs) le mouvement du cinéma et ce qui nous meut, émotionnellement et théoriquement.