Pour la première fois, une quinzaine de jeunes chercheurs francophones dirigés par Frédéric Gimello-Mesplomb se penchent sur le cinéma hollywoodien des années Reagan. Tout l’intérêt de cet ouvrage à plusieurs voix réside dans la volonté de proposer un large panorama qui ne néglige pas les conditions économiques de production des films ni leur réception par le public. Si d’aucuns pourront regretter le traitement expéditif réservé par exemple à la science-fiction, amateurs de cinéma et de culture américaine trouveront ici un appétissant hors-d’œuvre.
Dès avant l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan, le cinéma américain amorce un tournant avec le renouveau de la puissance des majors hollywoodiennes et l’apparition des premiers « blockbusters » – Les Dents de la mer de Steven Spielberg en 1975 et Star Wars de George Lucas en 1977 – qui marqueront la décennie suivante. L’aube des années 1980 voit le début d’une période de grandes manœuvres dans l’industrie hollywoodienne, en 1982 Coca-Cola achète Columbia pour la revendre à Sony en 1989 date à laquelle est annoncée la fusion Time Warner… Parallèlement, les Majors assurent la distribution de leurs films en faisant l’acquisition de salles. La présence grandissante de la télévision par câble ou satellite sur le territoire américain et celle de magnétoscopes dans les foyers ouvrent de nouvelles perspectives aux majors qui vont – grâce à l’aide de l’administration Reagan – investir massivement dans les réseaux du petit écran.
Offrir au public – composé majoritairement d’adolescents – le plus grand spectacle possible, voilà une des caractéristiques premières du divertissement reaganien. De l’écran large aux effets spéciaux, toutes sortes d’innovations techniques servent à faire vivre « physiquement » au spectateur ce qui se déroule sur l’écran. Les majors ont massivement investi le champ du film d’action ouvert dès les années 1970 par les « Movie Brats ». Sur une structure narrative classique où le héros doit régler une situation de crise qui peut prendre pour cadre différents genres (policier, film de guerre ou d’aventures) viennent se greffer de nombreuses séquences qui mettent en scène « un affrontement le plus souvent physique entre deux êtres, forces, entités ». Tant et si bien que l’action prend vite le pas sur le genre premier ou l’intrigue et que l’acteur, véritable « action man » (Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger, Dolph Lundgren…), est souvent confondu avec son personnage.
Dans sa campagne électorale, l’ancien acteur Ronald Reagan joue sur l’image quasi mythique du cow-boy et affirme sa volonté de « reviriliser l’Amérique ». Ainsi, le héros reaganien, fils naturel de John Wayne, se veut l’incarnation du « rêve américain ». C’est avant tout un « self-made man » dont le courage et le travail viennent à bout de toutes les difficultés, lui permettent de prendre sa revanche (même sur la guerre du Viêt-Nam). De Rocky Balboa à John Rambo en passant par Tony Manero, l’immigré pauvre qui, au prix de beaucoup d’efforts physiques (exaltation de la souffrance), se donne les moyens de réussir sera récompensé (intégration au mérite comme parfaite illustration du puritanisme américain). Ce dur à cuire invulnérable – « hard boiled » comme le capitaine Ripley dans Alien ou Conan dans le film éponyme – doit, pour transmettre efficacement l’idéologie reaganienne, affronter de véritables méchants dans une lutte du Bien et du Mal quasi mystique. Il garde cependant sa part d’humanité sans laquelle le principe d’identification ne fonctionnerait pas.
Glorification des archétypes masculins et apologie du corps inscrivent à l’écran le modèle reaganien en réaction à la supposée dégénérescence masculine de l’ère Carter. Le corps bodybuildé de Stallone ou Schwarzenegger est l’instrument de l’action, « il devient un acteur » au point d’enfermer l’interprète dans son rôle. Chez Stallone le travail sur le corps symboliserait le dépassement de soi, l’accès à la dignité tout en renforçant les capacités de résistance aux agressions psychologiques. Chez Schwarzenegger, le corps serait plutôt du côté de la froide invulnérabilité de la machine qui, le cas échéant, sert de protection aux plus faibles. Les « Hard Bodies » ne sont pas les seules figures de la masculinité reaganienne. Même si la série des Dirty Harry commence dix ans avant l’accession au pouvoir de Reagan, l’inspecteur Callahan est un parfait héros reaganien (et Clint Eastwood, son interprète et producteur, fidèle soutien à la nouvelle droite américaine est un élu Républicain). L’homme au Magnum 44 s’impose en clone du « vigilante » issu tout droit du western (l’acteur aussi) qui est sensé légitimer historiquement le droit à l’auto-défense.
Le retour en force des valeurs traditionnelles s’exprime aussi très nettement dans l’expression du populisme pastoral porté par des films comme Les Saisons du cœur de Robert Benton en 1985 ou La Rivière de Mark Rydell en 1984 à l’opposé de la critique amère proposée par Les Moissons du ciel réalisé par Terrence Malick en 1979. Alors que dans les années 1980, l’agriculture familiale américaine est en crise (surendettement, surproduction…), l’univers rural et tout ce qui touche à la terre sont idéalisés, seuls remparts contre la corruption urbaine. Des scénarios ouvertement mélodramatiques présentent le combat et la résistance de familles rurales contre toutes sortes de calamités. Finalement, et grâce à l’action héroïque de la mère de famille, la communauté et la cellule familiale s’en trouvent consolidées. Le discours reaganien de revalorisation des traditions et de la place du mâle dans la société américaine est avant tout très réactionnaire à l’égard des femmes. Des thrillers érotiques comme La Fièvre au corps de Lawrence Kasdan, Neuf semaines et demie d’Adrian Lyne ou Basic Instinct de Paul Verhoeven véhiculent l’idée selon laquelle l’émancipation sexuelle des femmes (et leur indépendance financière ?) provoquent systématiquement la dégradation morale de la société, le malheur, la mort. Si la femme toute puissante peut être un « fantasme éphémère » pour la spectatrice, elle finit toujours par être châtiée quand elle n’accepte pas d’abandonner son comportement indécent.
Longtemps déconsidéré par la critique française qui en stigmatisait la dimension propagandiste, le cinéma hollywoodien des années Reagan a suscité de part et d’autre de l’Atlantique l’engouement du public. Les héros qui en sont issus ont la peau dure, voir les derniers avatars de Rocky, Die Hard ou Conan. Le temps était venu de porter sur ce type de films le regard apaisé de la recherche, exempt du manichéisme si cher à l’ex-président américain.