Laurent Aknin donne une suite à son pavé vieux de deux ans : Cinéma bis, 50 ans de cinéma de quartier, avec ces Classiques. Énumération jouissive et passionnée des « musts » de ce genre mal-aimé, le livre ravira les amateurs, et pourrait bien susciter la passion des autres.
Impressionnant pavé que cette anthologie du cinéma bis, avec plus de 500 pages. L’amateur se pourlèche déjà les babines, mais se pose la question : Aknin et Balbo se seraient-ils attaqués à la LA question : comment définir le cinéma bis ? Les opinions divergent, en effet. Le plus sûr dénominateur commun aux multiples définitions du « genre » est que le bis est souvent mal aimé de la critique, et a été réalisé avec un budget dérisoire, beaucoup de débrouille, et pour faire le plus de recettes possibles. Une autre certitude, cependant : opposez un amateur de bis déclaré à un cinéphile aux goûts plus traditionnels. Si d’aventure, l’amateur de bis voulait accorder le qualificatif « bis » à un des réalisateurs défendu pour son interlocuteur, celui-ci prendrait pour une insulte ce que le premier a voulu comme le plus beau des compliments.
Car s’il est vrai que chaque amateur a son « bis », il faut bien avouer que le bis est assez généralement déconsidéré : les uns regardent ce genre bien nébuleux de haut, les autres – les amateurs – seraient bien en peine d’expliquer leur amour du genre. Parler du bis, c’est toujours un peu parler de son bis – Aknin nous parle donc ici de son bis, qui se révèle tout à fait fréquentable.
L’ouvrage n’échappe pas au piège de son organisation thématique (la chronique chronologique) : il se prive ainsi de la pertinence de l’analyse thématique à vue globale. Cela étant, il permet de dévoiler surtout la progression du genre, de ses obsessions (avant tout commerciales, rappelons le), et de la lumière que ce cinéma jette sur la société contemporaine. On se reportera donc, pour l’approche thématique, à l’autre ouvrage de Laurent Aknin, Cinéma bis, 50 ans de cinéma de quartier.
Dans les limites qu’il s’impose, les Classiques… se révèle diablement jouissif, intéressant et documenté. L’ombre du Jean-Pierre Putters de l’indispensable The Craignos Monsters est souvent présente, à la fois dans un style rédactionnel complice, agréable et drolatique, mais aussi dans la culture à toute épreuve de son auteur – une alchimie bien connue des lecteurs du Mad Movies de l’époque où Putters, justement, était à la rédaction en chef, et que l’on retrouve sous la plume de Laurent Aknin. L’iconoclaste auteur (qui a également produit des ouvrages sur Tolkien et sur… Louis de Funès). L’autre contributeur à l’ouvrage, Lucas Balbo, se prête également à l’exercice rédactionnel, mais c’est surtout à lui que l’on doit l’iconographie soignée (mais en noir et blanc, hélas – qui ne donnerait pas quelques euros de plus pour la couleur, en l’occurrence ?) – une formidable mine d’affiche, de photos et de matériel promotionnel.
C’est donc une œuvre de passionnés, pour des passionnés que ces Classiques… On ne peut, évidemment, s’empêcher d’éprouver des regrets quant aux impasses évidemment nécessaires, mais le lecteur perçoit finalement la logique derrière les choix éditoriaux : ce florilège se révèle indéniablement un remarquable panel bis. Et quel panel ! De très grands films, tels que Baby Cart, Supervixen, Le Masque du démon, 2000 Maniacs !, Mad Max, Re-Animator ou The Killer – mais aussi les plus jouissifs titres surréalistes coutumiers du genre : Maciste contre Zorro, Superman contre les vampires, 003 agent secret, Karaté à mort pour une poignée de soja, Bananes mécaniques, La Dernière Bourrée à Paris, Ilsa la louve des S.S. ou mon favori personnel, Goldocrack à la conquête de l’Atlantique…
On n’en finirait plus de citer ces titres extraordinaires avec une délectation de gourmet. Merci donc à ces Classiques de proposer cette liste non exhaustive mais pertinente : un corpus formidable, autant pour les amateurs que pour les novices. Et ce n’est certainement pas inutile, tant il est vrai à la lecture de l’ouvrage que les années 1990 et postérieures ne sont plus celles du bis. Cinéma commercial à petite ou moyenne échelle, le bis s’impose aussi comme une économie parallèle à celle des grands studios, une économie qui échappe à ses contraintes éditoriales pour souffrir des contraintes pécuniaires. Cette économie-là n’a plus réellement sa place aujourd’hui, après la disparition des salles de quartier, et la perte de vitesse de la « cinéphilie vidéo ».
On parle ici de « classiques » : la définition première de classique est « qui peut être étudié en classe ». Qui, aujourd’hui, étudie le Masque de la mort rouge ou L’arrière-train sifflera trois fois ? Le diptyque de Laurent Aknin fera aisément office de cours par correspondance : un cours passionnant, drôle, subtil et érudit.