Son nom est davantage connu dans les cours d’Histoire du cinéma pour la célèbre diatribe de François Truffaut contre « le cinéma de papa », que pour sa filmographie (Hôtel du Nord, Jeux interdits, La Traversée de Paris, Le Diable au corps…). Son nom, souvent insécable de celui de Bost dans les esprits cinéphiles, floute le champ d’action de ce scénariste vertueux. Son nom est Jean Aurenche (1903 — 1992), collaborateur, entre autres, de Claude Autan-Lara, René Clément et Bertrand Tavernier.
On ne manque pas de films sur les réalisateurs et les metteurs en scène, Jean Aurenche, écrivain de cinéma, nous révèle sinon un oubli, une potentialité : aborder les notions complexes de l’écriture de scénario dans un documentaire renvoie à bien des égards à la création, au cinéma en tant qu’art. Ainsi, on ne fait pas le portrait d’un scénariste sans petites histoires : l’anecdote d’enfance chez les Jésuites, contée par Alain Riou, en est l’illustration. Ce serait suite à un drame (la noyade accidentelle de camarades de classe) que Jean Aurenche aurait développé son sens dramatique. Bien que tragique, le symbole est beau. S’il y avait là de quoi construire un mythe autour de l’homme, et que les images d’archives de la cérémonie des César où Jean Aurenche reçu le prix du meilleur scénario pour Que la fête commence de Bertrand Tavernier en 1976, ouvrent le documentaire, ce n’est pas son crédo que de consacrer l’auteur. Plus minutieux, son objectif consiste, par fines touches, à restituer la mécanique d’écriture (à entendre sous son sens de mouvement et d’équilibre) de Jean Aurenche. Cette enquête feutrée menée par Alexandre Hilaire et Yacine Badday, permet aux témoins (Claude de Givray, Bertrand Tavernier, Paul Vecchiali, et Philippe Aurenche) de s’exprimer sans complaisance ni règlement de compte sur l’auteur et l’homme.
Le film nous parle d’un temps où les scénaristes écrivaient encore à la plume, où les descriptions étaient détaillées au point de rendre compte de chaque parcelle du décor.
La relation Pierre Bost/Jean Aurenche constitue un binôme intéressant. Si l’un fait jaillir son imaginaire et le met en partage (Aurenche), l’autre sélectionne et bâtit (Bost). Cette méthode de travail assied la thèse que l’écriture de cinéma est une écriture du vivant, participative, bien loin des images d’Épinal d’auteurs solitaires et noctambules cherchant l’inspiration à la lueur d’une bougie. Non : être scénariste demande un « savoir vivre », et on retiendra que Jean Aurenche était bon-vivant, qu’il avait cette part humaine dans laquelle puiser pour raconter avec sincérité ses histoires qui ont su toucher grand nombre de spectateurs, et qui en séduisent encore…
POLICIER
Deux viandox bouillants. Il fait pas chaud, hein ?
CLIENT
Il fait plus chaud au poste, hein.
POLICIER
On te demande rien toi ! Tu veux y aller voir ?
CLIENT
Oh je connais…
POLICIER
Montre un peu tes mains. C’est pas du charbon ça ?
CLIENT
Oh y’a un peu de tout.
(La Traversée de Paris, réalisé par Claude Autan-Lara, écrit par Jean Aurenche et Pierre Bost, adapté de la nouvelle éponyme de Marcel Aymé parue dans le recueil Le Vin de Paris.)