Après une belle carrière aux États-Unis, notamment en festivals, Tiny Furniture commence à faire parler de lui en Europe. Sorti récemment au Royaume-Uni, le film est précédé par la petite réputation de sa jeune réalisatrice – Lena Dunham, vingt-cinq ans – dont la série Girls, produite par Judd Apatow, démarre sur HBO le 15 avril.
De manière générale, les films du mumblecore américain jouent à plein sur l’improvisation et le naturel. À partir d’une intrigue-prétexte (désarroi amoureux, road trip, disparition d’un personnage), ils développent une trame aux limites souvent aléatoires (débuts et fins peu circonscrits) et des dialogues qui, autour de cette colonne vertébrale (un embryon d’intrigue), foisonnent jusqu’à en devenir la substance et le motif même.
Tiny Furniture se démarque de ce modèle naturaliste de plusieurs façons. Avant tout en opposant au matériau brut et à l’image presque aride des films d’Andrew Bujalski ou de Joe Swanberg la stylisation du quotidien mis en scène. Elle passe par un certain nombre de motifs qui inscrivent le film dans une série de codes branchés : aussi bien le cadre (loft de Tribeca, paysage urbain cool, garde robe de premier choix) que l’écriture (dialogues mordants). Bref le film choisit une forme moderne qui l’éloigne de l’aridité des tâtonnements de slackers perdus entre la fac et leur premier boulot.
Précisément, l’autre quadrillage du film est celui de la coming of age comedy. On est à ce moment précis de la vie de la protagoniste : celui où, tout juste diplômée de l’université où elle étudiait le cinéma, Aura est de retour en famille et en proie à une confusion toute moderne. Elle n’a en héritage de sa carrière d’étudiante qu’une vidéo pseudo expérimentale publiée sur YouTube ; elle essaie de digérer l’ombre de sa petite sœur, lycéenne prétentieuse et touche-à-tout ; et elle remet en question ses rêves estudiantins – tandis que sa copine de fac, façon Ghost World, s’accroche au fantasme de la coloc entre amies.
Le film, petit à petit, dissèque la confusion de la jeune femme. Il la dissèque jusqu’au cœur ou plutôt : jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Toujours poussées vers l’absurde et l’ironie, les scènes du quotidien sont vidées de toute émotion. La substance fictionnelle est noyée sous la matière documentaire, voire sous le réel – les personnages de la mère et de la sœur sont joués par la mère et la sœur de la réalisatrice-actrice, elle-même ancienne étudiante en cinéma. On redoute pesanteur et prétention, mais Lena Dunham s’en préserve en doublant cette dynamique d’un regard en constante auto-dérision, porté par une parole sarcastique qui décharge le film de toute tension ; pour atteindre, au mieux, celle du rire.
Tiny Furniture se protège donc de l’étalage en se doublant d’un commentaire malicieux et moqueur, qui devient la surface même sur laquelle évoluent les personnages. L’exhibition et ses menaces se dissipent. Cette posture est littéralement matérialisée, incarnée par le corps de l’actrice, montré sous tous les angles, affranchi des canons, assumé, banalisé.
L’audace de Lena Dunham est de se dupliquer en personnage de fiction et de rester, malgré tout, à distance de sa protagoniste. C’est bien, avec le développement de caractères aux portes de l’absurde, ce qui la rend attachante. Mais il n’y a pas non plus d’ambivalence : la surface d’autocritique, posée peu à peu sur le film, se fait pesante et finit par recouvrir tout élan de liberté potentiel – qui autoriserait un point aveugle, une ouverture dans cette mise en scène de soi extrêmement maîtrisée.
Le film est clos et ne ressemble à l’improvisation et au naturel du mumblecore que pour s’en distinguer. Il en a les formes (simplicité, propos, petit budget, posture naturaliste) et les contours (préoccupations auto-centrées d’une jeunesse désœuvrée aux prétentions artistiques, reconnaissance au festival South by Southwest, sorte de nouveau Sundance du cinéma indépendant aux États-Unis). Il s’en éloigne en donnant aux peines des jeunes diplômés une charmante vigueur. Elle retourne et annule les travers du film en les noyant sous un flot d’ironie – la menace d’esbroufe est évacuée et le film prend la forme d’une comédie totale, simple et arty. La mise en scène de soi implose. Ce qu’il reste ? De petits morceaux de fiction, des idées amusantes, et la promesse d’une carrière d’intérêt.