Aujourd’hui s’ouvre au cinéma Saint-André des Arts à Paris la troisième édition du festival Cinéma et droits humains, organisée par les militants de la section parisienne d’Amnesty International. Nous y relayons notre voix au sein d’un jury de blogueurs en charge de la remise d’un prix pour le meilleur court métrage de la compétition. La sélection se compose de dix huit courts, proposés au public lors d’une projection ce vendredi 9 novembre. En parallèle, hors compétition, seront diffusés plusieurs longs auxquels nous convions vivement le public francilien : notamment la première mondiale de Ceuta, douce prison de Jonathan Millet et Loïc Rechi. Le rapport entre cinéma et droits humains pose, bien sûr, la question de la puissance des images, de leur rôle de témoin, leur capacité de discours, mais aussi celle de leur légitimité : une vigilance que nous nous efforcerons de défendre au sein de ce festival.
Cette même semaine, une autre image a circulé – c’est une jolie coïncidence. Cette image, c’est celle des journalistes d’El País, qui se voient amputés du tiers de leur effectif, et d’une partie conséquente du salaire de ceux qui restent, en dépit du bilan financier insolemment positif du quotidien dans une économie espagnole en guenilles. En signe de protestation, ils se sont simplement tenus debout, comme morts, immobiles, leur journal brandi (parfois à l’envers), pendant cinq silencieuses minutes. Un téléphone sonne dans le vide. Les visages sont impassibles, tristes mais sereins. Une caméra explore cette scène irréelle ; si elle s’était trouvée en compétition, nous aurions été tentés de lui décerner un prix. Mais avant tout, elle est un rappel à la juste vocation des images qui veulent défendre et interroger les droits humains, vocation pour laquelle il nous incombe de plaider.
Parce que cette image se fait le brutal vestige d’une voix qui s’est tue mais que l’on peut encore voir, que l’on peut encore filmer. Les journalistes d’El País auraient pu lancer une pétition ou écrire une lettre ouverte, quand des intérêts privés venaient contrevenir à la pratique de leur noble métier. D’autres plumes, y compris françaises, l’ont fait avant eux. Mais même si leur terrain est le texte, l’intelligence des journalistes espagnols aura été d’avoir choisi ce geste, cette image. Elle est confuse : a-t-elle vocation à se faire symbole, trace d’une époque, prise de parole, simple témoignage ? C’est justement sa force : elle se meut dans le regard et devient, tour à tour, un peu tout cela à la fois. Au terme des cinq minutes, le silence se rompt : tout le monde s’anime soudain et un applaudissement général retentit. Ce n’était (bien sûr) qu’une représentation, un coup de théâtre, un manifeste en somme. Ainsi cette scène muette contient de façon spectaculaire le lien multiple que le monde entretient aujourd’hui avec son image, ses images : à la fois son empreinte et son moyen, et dans certains moments précieux, les deux à la fois.