Le décès de Denys de La Patellière n’ébranlera pas le petit monde de la cinéphilie. Réalisateur d’après-guerre appliqué, il aura eu l’occasion de faire tourner les têtes d’affiches de l’époque dans des films pas totalement honteux mais pas franchement mémorables non plus : Gabin, Fresnay, Darrieux, Ventura, De Funès etc. À la fin des années 1950, les jeunes turcs de la Nouvelle Vague l’égratignaient (parmi tant d’autres) en qualifiant ses films de « cinéma de papa ». Les journalistes d’i>Télé n’ont pas manqué de le rappeler lors d’un petit hommage à l’annonce de sa mort, soulignant le mépris de l’appellation et accusant même à demi-mot la Nouvelle Vague d’avoir planté sa carrière cinématographique, l’obligeant à s’orienter vers la télévision, lui, le réalisateur si humble et si populaire.
Ce discours n’est pas nouveau à la télévision. Chaque fois que l’histoire du cinéma français y est abordée (c’est-à-dire pas souvent), la Nouvelle Vague a droit à un tacle de ce genre. Elle aurait été injuste, aurait provoqué quelques dégâts, cassé des réputations et des carrières. Les médias n’y connaissent bien sûr pas grand-chose mais leur façon de réinterpréter l’histoire, de la réorienter à leur sauce est loin d’être innocente. Ce qui a causé la perte du « cinéma de papa » et de la Qualité Française, ce ne sont pas de jeunes critiques de cinéma intellos, snobs et dédaigneux mais l’incapacité de ce cinéma à se connecter à l’air du temps, à voir la société française des années 1960 évoluer comme les cinéastes de la Nouvelle Vague ont su le faire. Dépassé, démodé, ce cinéma vieillot s’est perdu après les années 1960 dans des films sans intérêt et ringards dont il ne reste rien aujourd’hui. Réhabiliter quelques classiques français d’après-guerre que la Nouvelle Vague et son goût pro-américain ont éclipsés, c’est une chose. Sous-entendre que cette dernière a été l’ennemi sanguinaire du cinéma grand public en est une autre.
La télévision loue ce cinéma gouailleur et populo qui ne mange pas de pain parce qu’il ne remet pas en question l’image, le cinéma et la façon dont il faut le faire – choses que la Nouvelle Vague en son temps a totalement renversées – parce qu’il s’accorde pleinement à sa non-vision du monde. Car au cours de sa laborieuse histoire, la télé française s’est radicalement détournée du cinéma et de tout ce qu’il a tenté de construire, œuvrant sans relâche à la justification de sa propre paresse, tentant de légitimer la nullité de ses grandes figures et de ses émissions de variété, faussant son travail de mémoire en excluant sciemment tout ce qui s’est opposé à sa manière de faire. Elle tente alors, dès qu’elle en a l’occasion, de réécrire l’histoire du cinéma selon son goût médiocre en fantasmant des films comme La Grande Vadrouille en classiques éternels, des cabotins comme Gabin dernière manière en interprètes de génie et des réalisateurs comme La Patellière en artisans humbles, là où il n’a à peine été qu’un honnête fonctionnaire. En somme, elle fait ce qu’elle sait faire de mieux : du travail de sape.