Nous ne sommes plus à un amalgame près, soit. Cette année a été riche en films pédagogiques auto-proclamés et, parfois, présentés par la critique comme des révélations. La Rafle s’occupait du Vel d’Hiv’, Hors-la-Loi est censé déterrer les secrets d’une guerre d’Algérie bien obscure. Roselyne Bosch a répondu aux critiques avec un autoritarisme étonnant pendant la promotion du DVD de son film : « C’est du reste ce que pensait Hitler : que les émotions sont de la sensiblerie. Il est intéressant de voir que ces pisse-froid [les critiques] rejoignent Hitler en esprit, non ? » Un film au sujet vibrant et « nouveau » au cinéma serait donc à défendre par nécessité morale. Nous voici replongés dans les pires pré-supposés qui enferment une œuvre dans son sujet, un spectateur dans la réaction que l’on attend de lui, au mépris de toute liberté et de toute honnêteté intellectuelle. Le cas de Hors-la-Loi est différent, notamment parce que Rachid Bouchareb n’a rien en commun avec Roselyne Bosch qui, sortant son revolver instinctivement, semble dévoiler un penchant monstrueusement dictatorial. Ne pas pleurer, c’est faire preuve d’insensibilité. Et douter ? Une preuve d’inhumanité ? Le problème que pose un cinéma aux vertus pédagogiques reste partout le même : faire croire que raconter la guerre d’Algérie aujourd’hui est un mérite, car personne n’en a jamais parlé, car personne ne sait, au fond, ce qui s’y est vraiment passé, c’est simplement avouer n’avoir lu aucun journal, aucune revue, voire aucun manuel scolaire depuis trente ans. Soit, tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir des parents historiens. Mais ériger Hors-la-Loi en contre-culture détonante, c’est justement de la pure ignorance. Parce que les archives sont ouvertes, parce que certains historiens, de toutes origines, se sont battus pour construire une histoire de la décolonisation, parce que n’importe qui a accès à ces informations s’il le veut. Le cinéma n’a pas l’objectivité pour finalité ultime, mais, de facto, quand on présente un film comme une pierre angulaire de l’édifice mémoriel, on fait de lui un objet historique. Et là, les choses se compliquent. Hors-la-Loi fonctionne, comme Indigènes, sur le principe du film bien rempli plutôt que celui du film bien fait : tout y passe donc, des expropriations sous la IIIe république à Sétif, de la Toussaint rouge à la répression d’octobre 1961, à grands renforts de gros plans, d’explications claires, d’acteurs dont on force l’accent en français pour faire couleur locale, de personnages bien cadrés -l’intellectuel a des lunettes, l’homme d’affaires un costume Al Capone, le commissaire français prête à de Gaulle des mots qu’il n’a jamais prononcés-. Car le but premier de ces films n’est pas la réflexion que pourrait engendrer un événement, le retour distancié du contemporain, mais la certitude que le spectateur ait bien compris ce qu’on voulait lui dire. Et, s’il n’y adhère pas, c’est un dangereux déviationniste. Le cinéma n’est pas là pour pallier les défaillances de l’Éducation nationale ou des parents. Une représentation n’a pas de valeur en soi, l’origine d’un réalisateur non plus. Penser que Hors-la-Loi est original car il prend le point de vue d’un FLN que l’on ne verra que sur le sol français, c’est simplement ignorer trente ans de travail, et sacraliser un thème, sans prendre en compte son développement, sans le mettre en perspective, sans en faire un objet porteur de sens.