Perfect Sense, film hybride entre drame romantique et SF métaphysique, s’amuse à désamorcer les attentes d’un public habitué aux épidémies sur grand écran. Minimaliste en terme d’effets, délibérément poétique, le métrage aiguise la curiosité quant à son réalisateur, David Mackenzie. De la genèse du film à son tournage, l’Écossais offre quelques pistes d’interprétation. Mais comme il le dit lui-même, ce n’est que son opinion.
Comment ce scénario est-il arrivé jusqu’à vous ?
Le scénario a été envoyé à ma maison de production, Sigma Films à Glasgow, par Zentropa, la maison de production danoise de Lars Von Trier. Nous avions déjà travaillé ensemble. Je l’ai lu en revenant d’un voyage aux États-Unis et j’ai tout de suite accroché. Le concept est très fort. Ça aurait pu être un script américain mais avec un tour très intime, très européen. J’ai trouvé la lecture très émotionnelle et originale. C’était très spontané, comme un coup de foudre.
Beaucoup de films mettent en scène la contagion, mais vous avez choisi un traitement très singulier. Pourquoi ce choix ? Diriez-vous de cette épidémie qu’elle est métaphorique ?
Le cinéma aujourd’hui devient de plus en plus réaliste, fait d’évidences. Le cinéma qui m’a toujours plu est plus implicite, plus métaphorique. Ce film était l’opportunité d’explorer les concepts de contagion, d’apocalypse. Mais ça parle surtout d’un amour en pleine catastrophe. L’histoire traite moins de la fin du monde que d’une métaphore de la condition humaine. Ce que cela signifie de gérer la perte de ses sens. J’espère que le film nous rendra reconnaissant, qu’il nous pousse à célébrer ce qu’on a dans la vie, ici et maintenant. Si le film avait été un pur film de SF, trop réaliste, cela n’aurait pas fonctionné et ça ne m’aurait pas intéressé.
La contagion n’est pas fatale dans Perfect Sense, elle dessine l’évolution tragique des personnages. Pourquoi avoir choisi de laisser vivre vos héros ?
(Rire) Je pense que l’idée intéressante sur cette maladie fictionnelle est justement qu’elle ne tue pas. Si on perd l’odorat, on peut survivre, on peut s’en passer. Les scientifiques diraient que c’est un problème mais rien de mortel. Cela ne serait pas une priorité. Mais si le problème s’aggrave, créant de gros désagréments pour la société alors là, il faut faire face. Derrière l’histoire du couple, on peut imaginer des dégâts considérables, mais comme on se concentre sur eux, le reste n’a pas d’importance. Je ne veux pas vous raconter la fin, mais disons que nous avons choisi de finir dans une sorte de feu romantique, un instantané d’un moment magique de la vie.
Diriez-vous que votre film est une romance ou préféreriez-vous qu’il soit rangé au rayon SF ?
Ni l’un, ni l’autre. La plupart des gens ont besoin de classer les livres ou les films, savoir dans quelle étagère les caser. Je n’ai jamais trop aimé cette façon de faire. Il s’agit surtout de trouver la façon originale et appropriée de raconter une histoire particulière. Pour Perfect Sense, il s’agit d’une histoire d’amour sur fond de catastrophe. La catastrophe est vraiment secondaire. Mais c’est juste mon opinion…
Durant les crises, la mise en scène elle-même est contaminée par la maladie (le son subit des modifications alors que les personnages perdent l’audition par exemple). Comment se sont déroulés le tournage et la post-prod ? Comment les acteurs ont-ils travaillé ces séquences ?
Nous avons choisi d’avoir une approche subjective pour le film. Sans déflorer l’histoire, il y a un moment où le son disparaît ou est très perturbé. C’est plutôt simple d’éliminer le son après coup. Mais sur le tournage, il était difficile pour les acteurs de faire comme s’ils n’entendaient pas. Imaginez-vous jouer quelqu’un qui n’a plus de sensations… Pour les autres sens, comme l’odorat, le rôle du chef (Ewan McGregor) est primordial. Au début de la romance, on joue beaucoup sur les corps, le toucher, l’odorat. Tout est très physique. Mais j’étais aussi conscient qu’il ne fallait pas surligner, ni trop essayer de subjectiver les sensations. Il fallait garder la réalité du toucher, de l’odorat, du goût. Comme ils sont souvent dans le restaurant, ils sont naturellement dans un rapport physique. Ce qui est malin avec le script, c’est la présence d’une scientifique et d’un cuisinier. Cela permettait d’avoir les deux versants.
La fin de Perfect Sense laisse le public face à de nombreuses interrogations. Quelle est cette maladie ? D’où vient-elle ? Y a‑t-il un remède ? Quelle est votre interprétation ?
Le public s’attend à ce que les scientifiques trouvent le remède durant le film. Mais en réalité, ça prend au moins dix ans pour trouver un vaccin. Regardez pour le sida où nous en sommes. L’idée des scientifiques trouvant un remède dans un laps de temps aussi court, c’est un pur mythe. Il était important dans le film, qu’ils essaient ceci ou cela mais au final on comprend qu’ils ne savent pas. Ils sont comme nous. Ils n’ont pas toutes les réponses à nos problèmes.
Le titre Perfect Sense, que signifie-t-il ?
Cela signifie que quelque chose est parfaitement clair et compréhensible. Rien dire de plus. Pour moi, Perfect Sense se veut un film optimiste. Je voulais montrer la capacité humaine à s’adapter, à survivre, à être créatif quelles que soient les circonstances. Je crois en l’amour, capable de tout surmonter. Ces éléments sont constitutifs de l’homme, et j’espère du film. J’aimerais que le public sorte en ressentant un élan de vie. J’étais en Bulgarie la semaine dernière. À la fin de la projection, il y avait un couple enlacé, encore dans la salle. C’est le plus beau compliment qu’on puisse faire au film, la force de l’amour.