Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs en spécialisation gravure, Florence Miailhe a débuté sa carrière professionnelle comme maquettiste pour la presse magazine. Très rapidement cependant, en 1983, elle expose des dessins, gravures puis se tourne vers l’enseignement section animation (Gobelins, ENSAD,…). Enfin, elle réalise son premier court-métrage en 1991, Hammam. Depuis, Florence Miailhe a imposé un style très singulier et bien personnel, ce qu’elle a appelé « le film peint ». Ces courts sont toujours fort remarqués et le dernier en date, Conte de quartier, a reçu une mention spéciale au festival de Cannes 2006. La prouesse technique n’est certes pas le seul ferment de ces petits bijoux animés et la narration ainsi que la musique donnent un rythme à ces déhanchés de couleur, ces dévoilements pudiques. Retour sur une œuvre subtile.
Vous exposez régulièrement des peintures, dessins, gravures depuis plusieurs années. Qu’est-ce qui vous a donné envie de les voir bouger ?
J’ai toujours eu envie de faire de l’animation. Quand j’ai fait les Arts Décoratifs, c’était surtout dans l’idée, un jour, de faire justement de l’animation. Cela m’a toujours fasciné de voir bouger des images et en particulier des images picturales. Je ne sais plus quand exactement j’ai vu les premiers films qui m’ont donné envie de faire de l’animation. J’ai toujours eu envie de faire bouger des peintures. C’était concilier l’envie de raconter une histoire par la peinture mais avec le mouvement. L’animation est donc le médium le plus approprié.
Justement, vous définissez vos films comme des films peints mais certains commentateurs parlent à propos de vos films de peinture animée…
Justement, je ne peins pas sur la pellicule, c’est bien plutôt de la peinture animée même si je joue avec l’expression films peints. Je sais ce qui m’intéresse dans l’animation, je sais ce qui m’intéresse dans la peinture, et je prends dans cet entre-deux.
L’exposition qui a lieu en ce moment aux éditions Garde-Temps rend compte de votre travail d’animation. Les dessins sont-ils tirés de vos films ?
Je fais de l’animation directe sous la caméra, donc cela procède par recouvrement. Les dessins que l’on voit là sont les dernières images de chaque plan. C’est-à-dire que sous les pastels qu’il y a là, il y a tout le mouvement, tous les mouvements du personnage que l’ont ne voit plus car il a été recouvert. Si on faisait un rayon X, on verrait tout le mouvement, le trajet du personnage pour arriver au dernier plan à cette fixité. Mais, je fais des storyboards, car comme je raconte une histoire, une histoire précise, j’ai besoin de cette suite de dessin pour jalonner mon travail, me guider dans mon travail. Après, évidemment, le film peut changer par rapport au storyboard. Je dessine également des croquis préparatoires aux traits noirs rehaussés que l’on voit aussi dans l’exposition, des croquis préparatoires à Hammam que j’ai fait directement au hammam.
Dans Les Oiseaux noirs, les oiseaux blancs, court-métrage arénophile, donc fait avec du sable, vous avez joué avec l’enseignement de Tierno Bokar relaté par Amadou Hampaté Bâ. Ce sage, pour faire passer une idée, une réflexion, opérait par image et dessinait toujours des formes sur le sable avec sa baguette. Comment avez-vous travaillé cette matière ?
Alors, effectivement, le sable se justifie pleinement pour la réalisation de ce court. Ce court, au départ, devait être inclus dans un documentaire consacré à Tierno Bokar. Le réalisateur avait bien insisté sur cette façon de faire de Tierno Bokar, le sable. Et puis, par rapport aux matières de l’Afrique, le sable convenait parfaitement de toutes façons. Il y a pas mal de mélange dans la technique, ce n’est pas exclusivement du sable, il y a de la peinture à l’huile aussi. J’ai joué sur des niveaux différents. De temps en temps, il y avait le sable au-dessus et puis j’écartais le sable et il pouvait y avoir autre chose en dessous. Ou bien, inversement il y avait quelque chose au dessus, j’écartais la peinture et il pouvait y avoir le sable en dessous. Alors, j’ai aussi éclairé le sable pas comme on a l’habitude de le voir, il est normalement éclairé par en dessous et donc le sable est souvent noir et moi, j’ai éclairé par en dessous et par au dessus, ce qui fait que l’on peut voir des couleurs différentes dans le sable. J’ai utilisé plusieurs sables différents aussi. Après, c’est vrai que le sable permet une animation de transformation, c’est très agréable, il suffit de le pousser un peu et une forme apparaît, les choses se font presque toutes seules.
Vos films sont assez coquins et ont un graphisme très sensuel. Que ce soit évidemment dans Shéhérazade ou Hammam, les thèmes sont ici évidents, mais également dans Conte de quartier par exemple où des affiches de femmes nues accaparent le deuxième plan. Vous dévoilez beaucoup la nudité. Le corps, par la danse, est toujours à montrer mais paradoxalement c’est un dévoilement pudique, on jette une peau. Je suppose que vous avez, pour Hammam, beaucoup regardé Ingres et son odalisque…
Vous avez raison mais je ne sais pas comment je pourrais l’analyser. J’ai une formation de peintre et c’est vrai que ce qui m’intéresse c’est le corps, comment le corps se dévoile. Pas forcément se dévoile dans sa nudité, mais dans ses gestes, ou comment les gestes dévoilent le corps, comment le mouvement dévoile le corps et ça, je ne peux le faire qu’avec l’animation. Et puis le thème du nu du coup, par le mouvement, prend une autre dimension. Cela m’importe beaucoup. Voilà, ce sont des corps qui se racontent aussi bien dans Hammam que dans Shéhérazade. Le geste m’intéresse beaucoup. Dans Au premier dimanche d’août, pendant le bal, c’est comment les corps vont se dévoiler durant une danse, comment des corps, jeunes, plus âgés, se dévoilent en dansant. Dans Conte de quartier, c’est l’inverse, mettre en opposition des corps d’une crudité un peu choquante qui sont ceux de la publicité – et j’utilise des publicités qui existent bel et bien – et des corps anonymes au premier plan. Mettre en relation des corps qui passent et des corps publicitaires.
Les personnages s’embrassent aussi beaucoup dans vos films, les bouches sont prises souvent en gros plan, l’oralité est très importante, ne serait-ce que dans le mot conte qui revient régulièrement ou les paraboles de Tierno Bokar. Comment envisagez-vous ce thème qui n’est pas au premier abord pictural ?
Oui, ce sont des bouches qui embrassent, qui se maquillent, en revanche, ces bouches ne parlent pas. J’ai beaucoup de mal avec les bouches qui parlent dans le cinéma d’animation parce que cela devient mécanique. Je préfère faire passer les choses par le geste, le mouvement, trouver le bon geste, le bon mouvement pour faire passer des sentiments plutôt que par un dialogue. Je n’ai fait aucun film où le personnage fait semblant de parler. Cela donne une déformation du visage, comme moi je pourrais le faire, qui serait fausse ou anecdotique. Et quand ça parle dans mes films, ça parle hors champ. Dans Au premier dimanche d’août, on entend des gens qui parlent, des bribes de conversation, mais c’est hors champ. Comme une oreille indiscrète qui se balade et qui pique des bribes de conversation, tout comme le film qui est vraiment un œil indiscret qui épie les gens. Dans Shéhérazade, c’est l’histoire d’une femme qui raconte une histoire mais je ne voulais pas qu’elle parle, justement. Tout doit se passer dans l’image même si en off, il y a une voix off féminine. En plus, je ne suis pas une bavarde et ce que j’ai à dire passe vraiment par mon dessin.
Tous vos films sont musicaux, la musique accompagne les mouvements. Comment le travail se passe-t-il avec le compositeur ?
Le compositeur intervient à la fin mais il y a une conception très chorégraphique de mes films : des entrées, des sorties, les personnages entre eux. Je me fais mon propre rythme intérieur par rapport au film, aux images. C’est après le film monté que je le donne au compositeur, Denis Colin, avec les paroles quand il y en a et il se plie à mon rythme tout en donnant son rythme à lui.
Plusieurs de vos films sont écrits en collaboration avec l’écrivain Marie Desplechin. Comment cette collaboration s’est-elle constituée ?
Marie Desplechin écrit bien, même très bien et quand j’imagine un film, c’est plutôt les images que je vois en premier. Nous nous sommes rencontrées pour Shéhérazade. Je savais que j’avais besoin d’un texte mais il ne devait pas être tiré du livre. Tout ce qui peut être raconté par les images est raconté par les images donc on n’a pas besoin de le redire dans un texte. Ce qui ne pouvait pas être raconté par les images devait être raconté hors champ. J’avais besoin de quelqu’un qui écrive, vraiment et c’est dans ce contexte-là que j’ai rencontré Marie. Elle m’avait écrit un premier texte en alexandrin, il était formidable mais je ne pouvais pas l’utiliser. On a cependant décidé de travailler ensemble. Il fallait qu’elle m’aide à faire le story board dans la mesure où moi je faisais un premier jet avec les images et elle, sur ces images, complétait ce qu’il fallait dire. Et après, je mettais du temps sur les plans. Mais il a fallu revoir encore le texte une fois le film fini, pour la comédienne et sa façon, très coquine de dire les mots, pour ne garder que l’essentiel. Sur Conte de quartier, je lui ai parlé de mon envie de peindre un quartier, de traiter de faits-divers qui s’enchaînent, de montrer des publicités, et elle, elle a structuré ces envies et elle écrit le scénario.
Avez-vous des projets, en ce moment ?
Je ne suis pas très sûre de moi pour mes projets à venir. Dans l’idée, j’aimerais passer à un format plus long car j’ai une histoire qui pourrait être racontée dans un format long. Je suis partagée entre ce désir-là et le fait que je ne sais pas comment je vais m’y prendre ou comment je pourrais m’y prendre pour faire un long métrage. Est-ce que je veux garder ma particularité qui est une particularité qui admet de petites équipes, pas de grandes équipes ou tout chambouler ? Ou garder quand même une petite équipe… Faire un long, c’est plus dirigé des gens que de travailler soi. Il faut que j’accepte de déléguer plutôt que de mettre la main à la pâte.