En regardant un making-of ou en prêtant attention à un générique de film, vous remarquerez la présence du premier assistant à la réalisation parmi l’équipe de tournage. Cet homme (ou cette femme), collé(e) en permanence au réalisateur, maintient l’ordre sur le plateau et occupe une place indispensable au sein de l’équipe de réalisation. Mais quel est son rôle exact ? Quelles sont ses prérogatives ? Comment accéder à ce genre de métier ? Gilles Sionnet, premier assistant à la réalisation, a travaillé entre autres avec des réalisateurs comme Patrice Chéreau, Léos Carax, Alain Cunet, mais également sur plusieurs téléfilms. Il répond à ces quelques questions tout en nous faisant partager son expérience.
Quel est le rôle du premier assistant à la réalisation ?
En préparation, c’est d’organiser l’ensemble d’un tournage à partir du seul document qu’il possède, c’est-à-dire le scénario. Donc, il faudra dépouiller tous les éléments de ce scénario de façon à prévoir tous les cas de figure en fonction de tous les postes qui composent une équipe de cinéma. Il va donc traiter le scénario séquence par séquence et voir les demandes qui sont faites par séquence en fonction de tous ces postes techniques. Parfois il va devoir organiser des tournages exceptionnels comme des tournages avec des animaux, avec des effets spéciaux, des cascades, dans des conditions climatiques ou culturelles très complexes et il va devoir mettre en place des réunions spéciales par rapport à cela. Il va faire le suivi des repérages, des rendez-vous du réalisateur, du casting, il va dépouiller la figuration et se mettre en contact avec un chef de file (ou chargé de figuration) pour lui demander de recruter les figurants.
Sur le plateau, le premier assistant est celui qui organise et qui va faire tenir dans une journée de travail toutes les scènes et tous les plans à tourner. C’est lui qui, dès la préparation, va mettre en place un rythme de travail sur le plateau de façon à réunir toutes les énergies autour de la fabrication d’un plan et respecter les temps impartis.
Que se passe-t-il quand on ne termine pas dans les temps impartis ?
C’est du domaine de la négociation. D’abord il faut comprendre pourquoi on termine en retard. Donc savoir vers quelles économies on peut aller, soit en simplifiant le découpage ou en accélérant le rythme du travail, peut-être en simplifiant l’ensemble de l’organisation en lumière, en machinerie. Et il y a souvent des surprises sur les tournages. Il peut y avoir des acteurs qui demandent plus de temps que d’autres, il peut y avoir un réalisateur qui ne soit pas au meilleur de sa forme tous les jours, on est jamais à l’abri de cela. Là ce sera des négociations avec la production.
Quels sont, justement, les rapports entre le premier assistant et la production ?
Ce sont des rapports qui changent en fonction des individus. Ce n’est pas quelque chose qui est institué de façon permanente, on est dans des métiers du contact. Les assistants sont un peu entre deux feux. On est censé faire en sorte que le tournage se passe correctement, que tout le scénario soit tourné et ce, avec le minimum d’heures supplémentaires. Notre travail est d’arriver à une sorte de productivité ; on nous demande donc d’être en quelque sorte les contremaîtres d’une usine. On est là pour accélérer le rythme, pour arriver à la meilleure productivité. Dans 99 % des cas, on fait un produit, il ne faut pas se leurrer. Les films qui sont des événements artistiques sont rares. Donc on est là, on est des contremaîtres, et en face de soi ou autour de soi, bizarrement ou contrairement au process industriel, on n’a pas d’ouvriers mais des gens qui sont plus qualifiés que nous, mais malgré tout, ils acceptent – c’est une espèce de convention – que l’assistant à la réalisation leur demande d’aller plus vite. C’est une espèce de jeu très bizarre. En général, ils acceptent, mais il peut parfois arriver que des chefs opérateurs, par exemple, refusent l’autorité d’un premier assistant à la réalisation.
Vis-à-vis de la production, on a donc ce rôle de contremaître mais d’un autre côté, on est aussi des employés. Et comme employé, on est dans un rapport employé/employeur. C’est-à-dire qu’on est des gens payés par des patrons pour lesquels il peut y avoir des revendications d’ordre budgétaire. Mais on est dans un milieu tellement feutré qu’il est de bon ton d’abandonner ces revendications. C’est certainement dommage car, comme dans tout processus de relation salariée, il est bon qu’il y ait une confrontation. C’est aussi pour ça qu’il peut être très gênant d’avoir des films sur lesquels le directeur de production, qui est le représentant officiel de la production, soit quelqu’un de totalement incompétent. On fait partie de la hiérarchie de la « création » mais directement lié à la production qui détient le nerf de la guerre.
Quels sont les rapports entre le premier assistant et le réalisateur ?
Il y a plusieurs cas de figures qui peuvent apparaître. Imaginons le meilleur des cas où il y a une bonne entente entre le réalisateur et le premier assistant. Dans ce cas là, il y a plusieurs niveaux de collaboration. Soit le premier assistant est un technicien pur et il met en place l’organisation générale du tournage, de la journée, de l’heure qui suit, et ainsi de suite. Il a une technique qu’il peut appliquer et qu’il doit appliquer. En revanche la collaboration peut aller plus loin ; le réalisateur peut le solliciter pour lui demander son avis autant sur le jeu des acteurs que sur la mise en scène. Auquel cas c’est une collaboration artistique plus proche. Parfois même, le premier assistant change de dénomination pour devenir un conseiller technique. Quand vous avez un jeune réalisateur qui commence dans le métier ou quand vous avez des films extrêmement complexes, on peut demander la présence d’un conseiller technique qui, lui, sera déchargé de toute la part organisationnelle du premier assistant. En ce qui concerne des réalisateurs avec lesquels le courant ne passe pas forcément ou même avec des réalisateurs sympathiques qui ont une vision très précise de leur film, eh bien, l’assistant réalisateur s’en tiendra à son poste pour lequel il est payé. C’est un technicien et il s’occupe uniquement de l’organisation du tournage.
Qui choisit l’assistant réalisateur ?
Normalement l’assistant réalisateur qui fait partie de l’équipe réalisation est choisi par le chef de poste. Donc c’est plutôt le réalisateur qui doit le choisir. Il peut y avoir une première sélection opérée par la production et le réalisateur a bien sûr son mot à dire. Mais je ne crois pas qu’il y ait un seul film où l’assistant soit choisi uniquement par la production.
Avec quelle équipe travaillez-vous ?
Autour de moi, il y a un ou des deuxièmes assistants puis des troisièmes assistants et éventuellement des stagiaires. Le deuxième assistant va m’appuyer sur le rythme en coordonnant l’arrivée des comédiens sur le plateau, en vérifiant que le plan suivant est en train de se mettre en place. C’est lui qui va préparer la feuille de service et c’est le premier assistant qui va la compléter en collaboration avec le deuxième pour la donner ensuite à la production qui la distribuera à la fin du tournage. C’est lui aussi qui est responsable du troisième assistant et qui lui donne les informations, ainsi qu’au stagiaire et éventuellement à la régie. Il est l’interface entre la réalisation et les abords immédiats du plateau. Donc il se trouve entre le plateau et les loges et est aidé par le troisième assistant.
Vous êtes passés par le poste de deuxième assistant pour devenir premier assistant ?
Non, j’étais régisseur général et je suis passé à la réalisation.
Vous avez fait une formation pour ça ?
Non, aucune. En fait j’étais journaliste, j’ai suivi, un jour, un tournage d’un film qui se passait en province et j’ai trouvé cela passionnant. Et là on m’a proposé de participer à un tournage. C’est là que j’ai commencé, en tant que régisseur général.
Quel est votre plus beau souvenir sur un plateau ?
Je ne sais pas si cela se note en terme « de plus beau souvenir ». Il y a des tournages qui, plus globalement, sont des plus beaux souvenirs parce qu’il se passe quelque chose, parce que vous avez des vrais réalisateurs, parce que vous travaillez avec des gens qui ont quelque chose à dire. Quand, en plus, cela fonctionne bien à l’intérieur de l’équipe, là on peut dire que ce bon souvenir artistique est doublé d’un bon souvenir de travail. J’en ai eu plusieurs.
Vous pouvez m’en parler ?
Sur un plan artistique, le film qui m’a le plus passionné est celui d’Alain Cuny, L’Annonce faite à Marie. Sur un plan artistique, même si je me sens un peu plus éloigné, et surtout sur le travail, celui de Raoul Ruiz, Ce jour-là ; c’est un exemple parfait. C’est quelqu’un qui a un langage cinématographique. Il est courtois avec tout le monde, l’équipe est extraordinaire : là, on ne peut pas avoir beaucoup mieux.
Un souvenir d’une situation inextricable ?
Je n’ai jamais eu le sentiment de ne pas pouvoir y arriver. En revanche j’ai déjà eu le sentiment de trouver un tournage insupportable parce que le réalisateur était sans intérêt et discourtois et totalement inorganisé. Mais le sentiment de ne pas y arriver… J’ai de toute façon l’impression que c’est un métier dans lequel on est obligé d’inventer en permanence, on ne peut pas se dire : je suis un premier assistant et je peux faire face à toutes les situations. Le problème n’est pas d’avoir confiance en soi, mais plutôt de garder sa curiosité, son inventivité et le goût du dialogue pour arriver à trouver à l’intérieur de l’équipe des solutions satisfaisantes pour tous.
Comment fait-on pour accéder à ce métier ?
Ce n’est pas différent du reste du monde. Il y a combien de chômeurs en France ? Qui veulent rentrer dans un métier quel qu’il soit ? Celui-ci paraît plus prestigieux ; effectivement, il y a donc beaucoup de demandes. Comment fait-on ? Le principe est que dans une équipe, les gens montent de grade à partir du moment où il y a une place qui se libère. Cela veut donc dire que si j’ai un deuxième assistant qui devient premier assistant à la réalisation, cette place vacante sera plutôt prise par le troisième assistant. En revanche, il peut arriver que tous les assistants qui travaillent dans l’équipe soient pris sur d’autres projets, dans ce cas-là c’est souvent dans l’urgence et là, c’est comme toujours ce qui se passe dans le cinéma, c’est par phénomène de réseau.
Comment conseilleriez-vous ces nouvelles personnes qui arrivent sur le métier ? Quelle formation faire ? Est-ce qu’il en existe une ?
Je ne sais pas. Par exemple, je n’arrive pas à obtenir les taux d’intégration des gens qui veulent se reconvertir. Il y a des gens qui font de la formation en reconversion et je ne sais pas au bout de six mois, un an, deux ans si ces gens qui ont tenté de changer de métier ont réussi à rentrer dans le milieu du cinéma. Autrement, je me dis aussi que la formation ne peut pas faire de mal. Puisqu’on est des techniciens, il y a une technique à apprendre. En ce qui concerne la réalisation, je ne suis pas sûr que l’on apprenne dans une école. C’est avant tout du talent et après on verra bien comment ça se passe. Comme technicien, une formation ne peut pas faire de mal, je ne suis pas sûr que ce soit une voie royale pour obtenir du travail mais je ne suis pas sûr du contraire non plus.