Au premier semestre scolaire de 2022, j’ai pu donner des cours de Théorie du Cinéma dans la deuxième année de la licence cinéma de l’Université Paris 8. Entre André Bazin et Laura Mulvey, nous avons étudié « Sur un art ignoré », un article écrit par Michel Mourlet en 1959 et publié dans les Cahiers du Cinéma, dont la complexité radicale continue à défier la sensibilité des cinéphiles jusqu’à nos jours.
Soutenu par l’analyse des séquences de films de Fritz Lang, Joseph Losey, Cecil B. DeMille, Otto Preminger et Vittorio Cottafavi, nous avons lu et débattu du texte. J’ai ensuite recommandé aux élèves différents extraits du recueil Sur un art ignoré : la mise en scène comme langage et leur ai demandé à chacun de formuler une question à adresser à l’auteur. Grâce à la généreuse intervention de Christophe Fouchet, nous avons pu contacter Michel Mourlet, qui a accepté de répondre au questionnaire.
Ce qui suit est le résultat de cet échange entre deux générations de cinéphiles, deux cultures, mais aussi deux jeunesses. Car, outre les questions des étudiants, parfois naïves mais toujours honnêtes, c’est en lisant les réponses de Mourlet que l’on s’étonne, retrouvant en elles, soixante ans plus tard, la même verve du jeune cinéphile, de l’étudiant passionné et exigeant qui, à la fin années 1950, a érigé à travers son manifeste l’un des piliers de cette histoire d’amour charnel pour le cinéma. Une histoire qui, à bien des égards, est aussi la nôtre.
Miguel Haoni
Etudiant·e·s ayant participé à la préparation et la réalisation de cet entretien : Konstantinos Apostolidis, Aude Armengaud, Carline Colagene, Zina Eid-Hamzawiy, Timothy Foueni, Erwan Guénolé, Xiaoyang Guo, Adrien Guyon, Titouan Maubert, Koulami Modeste, Fanuel Oliphar, Tommy Rossignol, Varvara Soluianova, Xiao Tang et Pauline Thomas.
La mise en scène suffit-elle à faire un bon film ?
Votre question soulève le problème épineux du rapport entre mise en scène et scénario. Il faut d’abord s’entendre sur ce que nous mettons exactement dans le terme « mise en scène ». Originellement, comme vous le savez, il vient du théâtre. Pour André Antoine, le premier des metteurs en scène de théâtre européens à avoir pris acte de la spécificité de sa fonction, il signifie « l’art de dresser sur les planches l’action et les personnages imaginés par l’auteur dramatique ». À condition de substituer au mot « planches » le mot « plateau » et à « auteur dramatique », « scénariste et dialoguiste », cette définition peut se transporter du théâtre au cinéma.
Mais le terme « mise en scène », repris par facilité au vocabulaire théâtral, ne rend compte que d’une partie du travail qui incombe au réalisateur de film. Pour désigner l’ensemble des opérations qu’il effectue, il serait plus approprié de parler de « mise à l’écran ». On s’aperçoit alors que ce que nous avons appelé « mise en scène » ne comporte pas seulement la disposition et l’utilisation du décor, de l’espace en général, de l’éclairage, la direction des acteurs au service de l’action et du dialogue, le bruitage, l’insertion éventuelle de musique, les essais, les répétitions. Elle comporte en outre ce qui appartient en propre à l’écran : la mise en images, subdivisée en découpage, prise de vue, montage, associés aux techniques du son. En résumé : dans le texte auquel vous faites référence, Sur un art ignoré, et dans tous mes autres écrits sur le cinéma, la « mise en scène », c’est l’ensemble de ces opérations, dont le résultat est tout ce qu’on voit et entend lors de la projection d’un film.
À partir de cette précision, nous pouvons examiner votre question. Il est clair que la mise en scène ne peut exister en soi, dans le vide. Tout spectacle part d’un projet narratif quel qu’il soit, si minimaliste, si irréaliste ou au contraire si documentaire qu’il soit, et ne peut y échapper même s’il rejette le récit et ses règles, ce rejet lui-même étant un projet d’ordre narratif. Ainsi toutes les actions que j’ai énumérées sont pensées et exécutées en fonction d’un projet antérieur, amené à se développer entre un début concentré en quelques phrases et une fin plus ou moins élargie aux détails. Les divers stades d’élaboration du film pourront être consignés par écrit, seulement imaginés et mémorisés, ou même improvisés sur place, de toute façon ils ne peuvent pas ne pas exister avant l’acte de mettre en scène.
La mise en scène est donc la concrétisation en images et en sons d’un récit, conçu comme tous les récits pour intéresser ou mieux encore : passionner. Il y a un lien évident entre l’histoire préalablement racontée avec des mots et le récit en images-sons qui en sort, lien de causalité qui entraîne une conséquence d’ordre qualitatif : l’intérêt du récit concrétisé sur l’écran est lié inévitablement, quoique dans une mesure variable, au récit élaboré dans la tête du scénariste et dans le langage des mots. La première conclusion à en tirer serait donc que la mise en scène ne se suffit pas à elle-même pour faire un bon film. Nous avons vu d’ailleurs que parler de mise en scène autonome, indépendante d’un support narratif, serait un non-sens.
Mais entre l’histoire à raconter sur l’écran (scénario) et le film réalisé, plusieurs combinaisons sont possibles : un bon scénario aux mains d’un bon metteur en scène, ou d’un mauvais ; un scénario bâclé mis en scène par un réalisateur de talent, ou médiocre… On s’aperçoit alors que la mise en scène, si elle est de bonne qualité, peut sauver un scénario « mal ficelé », tout comme à l’inverse un gâte-sauce peut gâcher la meilleure des histoires et la transformer en navet. De même, un mauvais agencement des événements, des situations banales ou absurdes, peuvent bénéficier de dialogues brillants portés par des acteurs qui captivent l’attention. En fait, tout dépend essentiellement de ce que le metteur en scène peut apporter de substance, de chaleur, de couleurs, de vie à la structure décharnée du scénario. Autrement dit, dans tous les cas, le scénario n’est qu’un support, un « tremplin » (dixit Losey). C’est ce qu’on regarde et écoute sur l’écran qui est la finalité et qui détermine le degré de réussite ou d’échec du film. Voilà pourquoi nous considérons que le metteur en scène, et non le scénariste, est l’auteur du film. Le scénariste propose une histoire comme la vraie vie propose un enchaînement d’événements réels, mais c’est le cinéaste avec sa caméra, comme le romancier avec ses mots, qui en fait une œuvre. Le scénario inventé ou le fait divers des journaux sont le squelette, la mise en scène est la chair.
À votre question on peut donc répondre : oui, une mise en scène de grande qualité appliquée à un scénario mal imaginé ou mal construit peut suffire à réaliser de belles séquences, mais le film sera encore meilleur, et plus continûment, si le scénario fonctionne bien !
Je vous suggère à ce propos de lire dans le livre qui porte le même titre que mon « manifeste » le texte intitulé « Qu’est-ce qu’un scénario ? », où vous trouverez une réponse complète et détaillée à votre question. J’y cite des extraits d’une conversation avec Otto Preminger, où celui-ci analyse subtilement le rapport entre l’histoire à raconter et la manière dont on la raconte.
En référence à votre texte « Le film de guerre » : la mise à nu de l’âme humaine à l’écran ne peut-elle s’opérer qu’à travers l’exploration du sublime ?
Je ne crois pas avoir dit cela. Je dis seulement que la guerre avec le danger permanent qu’elle représente, la peur qu’elle engendre, la mort partout qui l’accompagne, est un révélateur puissant de la vérité des êtres, en particulier de leur courage, de leur lâcheté, de la solidité ou de la fragilité de leur amitié, de l’authenticité de leur engagement dans une cause, etc. Elle agit comme un réactif chimique. Il y a lieu, je pense, de renverser votre proposition : c’est à travers la mise à nu, dans certaines circonstances, de l’être humain, qu’on peut parfois atteindre au sublime. Ceci nous aide à comprendre un peu mieux ce que, dans une œuvre, on nomme le sublime. Il me semble en effet qu’on en parle seulement comme d’un sentiment qu’on éprouve, sans chercher à en analyser les causes.
Si l’on définit le sublime comme l’acmé de la beauté, il faut d’abord essayer de définir la beauté. Il convient donc de ne pas suivre les philosophes et les artistes qui écartent la question par une pirouette, prétendant qu’il s’agit d’un mystère. Le fameux « mystère de la beauté ». Il n’y a de mystère en soi que dans les religions, qui résolvent un problème en le repoussant dans un problème plus vaste. Tout autre mystère n’est fait que de notre ignorance, qui est un vide ; et le vide, comme le vague, agrandit. D’où le prestige du mystère.
Ce n’est pas le lieu de nous lancer dans de labyrinthiques analyses. Faisons simplement un peu de sémiologie. Produits de notre volonté de communiquer, toute ligne, surface, image, toute note de musique, tout mot ou geste est un signe. Et tout signe envoie un message, intelligible ou sensible. Faisons un peu de phénoménologie. Notre sensation d’exister, liée à notre vouloir-vivre, se nourrit des signes que notre conscience, virtualité en attente, reçoit du monde et de notre corps qui en fait partie. Les uns accroissent notre connaissance, et c’est la maîtrise du monde intelligible, comme une bouffée d’oxygène qui enivre ; d’autres ébranlent notre émotivité, et c’est l’univers moral ou passionnel qui est touché ; d’autres enfin s’adressent à nos sens supérieurs, la vue et l’ouïe, et c’est le plaisir pur des équilibres, des harmonies, des symétries, des proportions (le nombre d’or…) qui sont comme la logique du sensible et témoignent d’une mathématique interne peut-être en résonance avec la structure de l’univers.
On appelle beauté (ou laideur !), selon moi, l’addition des messages envoyés par les formes-signes de l’œuvre, remplissant (ou pas) leur fonction espérée d’agrandissement, de consolidation, d’accord, de catharsis, d’apaisement, de joie de notre être-dans-le-monde. Il va de soi que plus nombreux sont les messages des trois ordres (intelligible, émotionnel, sensuel), mieux ils se complètent, se complexifient, et plus s’accroît le sentiment de beauté – de déchirement du voile, de surgissement de l’être – qui peut s’élever par intensification jusqu’au sublime. En nombre indéfini comme les étoiles dans le ciel nous semblent les affects et les éléments de connaissance formulés ou pressentis qui émanent du visage et du maintien du Saint Jean-Baptiste de Léonard de Vinci. Il peut en aller de même pour un groupe d’images animées et sonores, au cinéma.
Il est bien évident que dans les films – ou dans la vie ‒ la guerre, et les scènes sublimes et déchirantes qu’elle suscite, n’est pas l’unique circonstance susceptible de nous exalter. Tout événement exceptionnel, non seulement extérieur mais aussi d’ordre intime, qui rompt avec le cours habituel de la vie, est de nature à projeter une lumière intense et crue sur l’être humain, à le pousser dans ses retranchements ou vers ses extrêmes limites. Dans le cas d’une œuvre dramatique, cette rupture avec le cours ordinaire des choses peut donc éclairer différemment les individus, renforcer les enjeux, en susciter de nouveaux. Elle mélange les morceaux du puzzle et oblige à recomposer le dessin. Cela se passe aussi bien dans un film policier, un drame amoureux, un péplum, des souvenirs d’enfance, que dans un film de guerre…
Si, comme vous le dites, « faire de l’art signifie construire avec l’existant un existant nouveau qui en quelque façon exorcise l’artiste », considérez-vous les comédies musicales telles que Le Magicien d’Oz, West Side Story ou encore Chantons sous la pluie comme faisant partie de l’art du cinéma ? Et dans le même esprit comment considérez-vous l’animation ?
Je confesse que je n’éprouve pas une grande passion pour la comédie musicale, bien que certaines, que vous citez, m’aient procuré un certain plaisir, mais d’ordre théâtral et musical beaucoup plus que cinématographique. Pour une raison analogue, je préfère le théâtre à l’opéra. En fait, si j’apprécie le mélange des genres : comique et tragique, poétique et réaliste, langage recherché et argotique, etc., mélange qui peut produire des effets saisissants, je n’analyse pas de la même façon la juxtaposition des supports : les « collages » dans la peinture, par exemple, ou l’introduction de parties dansées dans une action réaliste, ou des personnages qui se parlent comme on se parle dans la rue et brusquement se mettent à chanter ; ou encore la projection de séquences filmées au milieu d’un spectacle vivant.
Par souci de clarté : j’appelle « support » tout art considéré sous l’aspect de l’ensemble de ses moyens matériels et intellectuels, sachant que la finalité, rendre le monde plus habitable à ses habitants, est identique pour tous les arts. Par exemple, pour la littérature, non seulement le papier, le traitement de texte ou le stylo, mais aussi les mots et leur agencement, la grammaire, la sémantique, l’étymologie ; pour le théâtre, non seulement les trois côtés de la scène, le rideau, le décor, mais aussi la nécessité des conventions temporelles, spatiales, comportementales, objectales (le fameux poulet en carton), attachée aux conditions d’une représentation qui ne peut être qu’une métaphore du réel. Ainsi, l’intervention dans un ouvrage, quel que soit l’art considéré, de moyens inadaptés à cet art et destinés par nature à un autre vecteur d’expression est forcément ressentie comme un corps étranger ; plus ou moins douloureusement selon les sensibilités ou l’habitude qu’on en a prise et qui finit quelquefois par masquer le désaccord.
Je ne me dissimule pas ce qu’il y a de subjectif dans mon raisonnement, mais si vous avez lu mon texte « Le Mythe d’Aristarque », vous savez que je ne crois pas à la possibilité d’une réception neutre, « scientifique », ou éclectique, de l’art. Et non content de ne pas croire à son existence, que j’analyse comme un leurre, je n’en conçois même pas l’intérêt.
Pour revenir plus précisément à votre question, je perçois les comédies musicales, y compris les plus réussies, comme des œuvres bâtardes qui seraient à leur place sur une scène de théâtre (d’où elles proviennent, d’ailleurs), là où leur présupposé conventionnel s’épanouirait à l’aise au lieu d’être contredit par l’objectivité de l’enregistrement, comme se trouve contredit le théâtre filmé.
Quant aux films d’animation, ils appartiennent à un art spécifique, autonome, très respectable, très minutieux, qui a produit des chefs-d’œuvre, mais qui, à part les conditions de projection sur un écran, n’entretient aucune relation avec l’art cinématographique. Il existe pourtant des personnes sensées qui professent que tout ce qui est projeté et qui bouge sur un écran s’appelle « cinéma ». Je pense que, de la même façon, on pourrait alléguer que tout ce qui s’imprime sur du papier s’appelle « littérature ».
Que pensez-vous aujourd’hui des autres visions cinéphiliques, celles que vous rejetiez à l’époque mac-mahonienne ?
À plusieurs reprises, plus ou moins récemment, j’ai répondu à cette question, en particulier dans l’avant-propos à L’Écran éblouissant et la préface à L’Histoire du mac-mahonisme de Christophe Fouchet. On me la pose souvent et je me la pose à moi-même parce qu’il y avait sans doute quelque chose d’excessif dans le rigorisme mac-mahonien, qui nous conduisait à n’admettre dans notre panthéon qu’une douzaine de cinéastes et à dédaigner les autres, spécialement ceux que défendaient les Cahiers du cinéma, sans parler de Positif ! L’intransigeance de nos vingt ans n’explique pas tout. Assurément nous étions sincères et nos préférences étaient argumentées, mais je pense que, presque inconsciemment, une stratégie s’était imposée à nous, qui consistait en premier lieu à insister sur notre différence pour justifier notre ambition d’exister au sein d’une élite cinéphilique déjà bien structurée et organisée ; et cette stratégie non concertée, en quelque sorte spontanée, nous amenait à exercer un certain terrorisme intellectuel pour imposer notre présence et nos goûts.
Nous avions d’ailleurs été à bonne école : les « Jeunes Turcs », comme on appelait les agitateurs de la Nouvelle Vague, Truffaut en tête, n’avaient pas procédé autrement vis-à-vis de leurs aînés, pour prendre leur place.
Pour autant, je ne renie rien de ce que j’ai pu écrire à cette époque contre tel ou tel cinéaste, Antonioni par exemple. Je persiste à tenir le cinéma muet pour infirme, et à l’apprécier comme on aime les animaux dont on dit qu’il ne leur manque que la parole. J’ai certainement été trop sévère, c’est-à-dire injuste, envers Welles, Nicholas Ray, même Hitchcock. Mais je crois que mes reproches, trop brutaux dans leur forme, demeurent valables en termes d’analyse. Je compléterai cet examen de conscience en mentionnant l’élargissement ultérieur de ma palette à des cinéastes que j’aurais peut-être négligés auparavant, tels Risi, Comencini, Boorman, pas mal d’autres dont j’ai fait état dans mes livres postérieurs à Sur un art ignoré. J’ai relevé dans mon temple quelques statues, comme Rossellini, Renoir, même Sternberg. Cela simplement pour dire qu’une perméabilité à la découverte ou à la redécouverte n’est pas incompatible avec la fermeté des principes.
Dans votre texte « La hauteur de ton », je ne sais pas exactement comment interpréter « le ton ». S’agit-il du ton des dialogues, de la couleur des images, de l’atmosphère générale du film, ou du contenu non exprimé, métaphorique, du film ?
Nous sommes ici dans le domaine où se mêlent le plus inextricablement le contenu et le contenant, ou si vous préférez, le dit et le dire, ou encore le signifié et le signifiant, qui s’engendrent l’un l’autre et ne sont étudiés séparément que de manière abstraite et scolaire. Il s’agit en somme de ce qu’on appelle aussi le style, dans la mesure où l’on parle, chez un écrivain par exemple, de « grand style » ou de « style gendarme » : non pas l’étendue du lexique et la correction grammaticale, mais plutôt la structure, le mouvement, l’enchaînement particuliers des phrases (qui sont le mouvement et l’enchaînement de la pensée), traduisant l’ampleur ou l’étriqué de la vision, instaurant un climat général, connoté et corroboré par les écrits du même auteur déjà connus ; connotation que ce mouvement, cette structure, ce vocabulaire qui lui sont propres, réveillent en notre mémoire, offrent à notre imagination, et qui agrandissent – ou rétrécissent – la portée de son discours. Le ton, c’est ce qui fait que la même intrigue dans le même milieu, associée aux mêmes événements, aux mêmes personnages, mari, amants, femme qui se suicide, développés par Flaubert et par un auteur de romans de gare aboutiront soit à Madame Bovary, soit à un de ces mélos vaudevillesques vendus à cent mille exemplaires en trois jours et oubliés une semaine après.
Au cinéma, c’est exactement pareil. Et si je préfère parler de « ton » plutôt que de « style », c’est pour éviter le sens réducteur qui est trop souvent attribué à ce vocable, limité aux mouvements d’appareil et au découpage en plans. Le ton, c’est la hauteur ou la bassesse, la largeur ou l’étroitesse de vue d’un cinéaste, qui fait la différence entre un pique-nique à la campagne filmé par Jean Renoir et, supposons, par Max Pécas. Le ton, c’est tout ce que vous avez énuméré, synthétisé dans la mise en scène qui expose une certaine manière de regarder les gens et les choses.
Ne jamais oublier que ce qui est montré, la pensée qui en gouverne le choix, le mouvement et les présupposés de cette pensée, la dynamique de la monstration – ostensible, discrète, violente, paisible… – tous ces éléments, influencés en outre par le contenu narratif, sont étroitement interdépendants et presque indissociables. Ils doivent être analysés ensemble, faute de quoi on risque de passer à côté de l’œuvre et de la démarche créatrice en général, qui est fondamentalement à chaque instant une démarche de synthèse. C’est ainsi que j’entends pour ma part la sentence globalisante de Marshall McLuhan : « The medium is the message. »
D’après vous, y a-t-il des limites à la représentation d’une violence sublimée à travers le cinéma ?
Si la violence est sublimée, je ne vois pas quelles limites on pourrait lui assigner, puisque le sublime, étymologiquement, est « juste au-dessous (sub) de la limite (limes, limitis) », autrement dit à la place la plus élevée possible, au-dessus de quoi il y a autre chose ou rien. Je pense que votre question pourrait se reformuler en ôtant « sublimée » : la représentation cinématographique de la violence doit-elle avoir des limites ? Je répondrai alors par l’affirmative : elle ne doit pas outrepasser les bornes au-delà desquelles la raison d’être de l’art (catharsis, exorcisme, défoulement psychanalytique, passage du non-sens au sens, conciliation du Moi et du Reste…) se trouve éliminée au profit d’un choc grossier sur la sensibilité du spectateur, choc semblable – et donc inutile – à celui, brut et contingent, que provoque le monde réel. Mais ma réponse contient une seconde question tout aussi importante : comment tracer la frontière ainsi définie ?
Où finit l’art, où commence la violence brutale et superflue, celle qui se déploie de plus en plus souvent sur les écrans, les films se confondant avec les jeux vidéo ou le jeu de quilles ? Si l’on peut définir le principe, je crois difficile d’en énoncer les règles d’application, tant les critères d’appréciation varient avec les individus. Il en est une, cependant, sur laquelle tout le monde peut s’entendre. C’est « l’épaisseur humaine » des personnages qui activent ou subissent la violence. Si les personnages, porteurs de l’action, sont de simples quilles abattues par une boule, des cibles silhouettées pour exercice de tir, dépourvues de passé, de projets, de caractéristiques psychologiques individualisées, à peine cernées par un léger trait d’environnement social, s’ils apparaissent et disparaissent telles des marionnettes sans avoir été fortement identifiés, sans que le spectateur ait le sentiment de les connaître, voire de sympathiser avec eux, si les personnages, donc, n’ « existent » pas, comme cela arrive trop souvent par la faute de scénarios insuffisants, de mises en scène dépourvues d’intériorité, la violence qu’ils véhiculent est perçue comme gratuite, non signifiante. Quand bien même elle prétendrait délivrer quelque constat ou message, elle ne saurait accéder à la dignité de l’art.
Le cinéma est-il asservi à l’usage de la violence pour provoquer la fascination?
Cela dépend encore une fois de ce qu’on entend par « violence ». Dans le discours public – politique et médiatique – le mot revêt une acception rudimentaire, brute, univoque, en résumé celle du coup de poing dans la figure, qui va de la fessée parentale au terrorisme. Ce n’est évidemment pas cette violence-là, secouée d’explosions, ruisselante de sang, que j’invoque en priorité dans mes textes, en particulier « Apologie de la violence », objet d’interprétations aussi erronées que stupides, même à une époque – les années 1960 – où la police de la pensée était loin d’être aussi organisée et menaçante qu’aujourd’hui. Il me semble d’ailleurs que ma réponse à la question précédente répond en partie à la vôtre. Quand j’écris dans « Apologie de la violence » que « la violence est un thème majeur de l’esthétique », on voit où se situe mon propos : il concerne aussi bien une chasse à l’homme (Willie Boy par exemple), que deux couleurs brutalement juxtaposées sur une toile, une partition musicale, une scène de la Médée d’Anouilh, ou encore l’imprécation la plus terrible de la vengeance amoureuse : « La Colère de Samson » d’Alfred de Vigny… Mon texte compare d’ailleurs diverses formes de violence extérieure et intérieure, très différentes selon les cinéastes ; par exemple, chez Lang, la violence contenue, comprimée, que pour la force et le sens je place plus haut que celle, lâchée et bruyante, d’un Welles.
La violence intériorisée ou extériorisée d’un sentiment ou d’un acte, transmise par un film, peut fasciner. Mais d’autres facteurs sont identifiables. La beauté irradiante d’une actrice, un acte grandiose dans le registre du sacrifice, de la générosité, de la noblesse de cœur, une scène de bonheur édénique ou d’infinie tristesse, une vision érotique (au sens suggestif et si possible inventif, non pas les tressautements mécaniques actionnés de nos jours sur les écrans), une apparition silencieuse de Nosferatu, cent autres situations d’où toute violence au sens ordinaire est absente sont également de nature à produire ce phénomène : l’attraction magnétique exercée par un ensemble de significations et d’affects agglutinés à un groupe d’images, ainsi élevées à leur plus haute puissance humaine et cosmique, et qui, par leur irruption, arrachent le spectateur transfiguré à son intériorité banalement quotidienne.

Bungalow pour femmes de Raoul Walsh | © Twentieth Century-Fox
J’ai lu votre texte « Fritz Lang, mode d’emploi ». On dit qu’il est nécessaire de regarder les films de Lang trois fois (minimum), parce que c’est ainsi qu’on peut les découvrir complètement. Est-il impossible de les apprécier du premier coup ? D’autres réalisateurs de cette époque-là peuvent-ils être plus facilement compris grâce à leur langue cinématographique plus claire et simple ?
Votre dernière phrase me paraît assez étrange, car je ne connais pas de cinéaste plus simple que Fritz Lang. J’en connais de très compliqués, très alambiqués, voire énigmatiques, qui mêlent le rêve à la réalité, le vrai et le faux, le présent objectif aux réminiscences, qui disloquent la chronologie, filment une oreille en gros plan quand on aimerait savoir où l’action se déroule et un paysage vu d’un drone là où s’imposerait l’échancrure palpitante d’un corsage… Certains jouent au travelling comme on joue au tennis, on voit des coups de zoom qui cassent la vision, des ralentis qui écrasent l’élégance d’une démarche et des accélérés qui insultent l’espèce humaine. Rien de tout cela chez Lang, qui montre les choses comme elles doivent être montrées par l’enregistrement introublé du réel, enregistrement aussi invisible qu’on peut. Cette conséquence du fonctionnement optique de la caméra, aussi affamée de réalité que le microscope du chercheur, je l’ai nommée l’esthétique de la transparence, comme le rappelle le Pr Robert J. Berg dans son livre À la rencontre du cinéma français (Yale University Press, 2011). C’est le paradoxe du cinéma : il a bouleversé la relation, auparavant inévitablement biaisée, de l’art avec le réel. C’est ce paradoxe qui le rend si sujet à l’incompréhension.
Les spectateurs qui ressentent le besoin de visionner trois fois ou davantage les films de Lang pour commencer à en apercevoir le sens sont ceux dont l’esprit s’encombre de préjugés socio-culturels inadéquats, de filtres esthétiques hors d’usage (les idées d’Eisenstein sur le montage, par exemple), du souvenir d’innombrables séquences qui sont autant de trahisons de la vocation originelle de la photographie animée. Cette vocation définie par son instrument (comme celle du dessin par le crayon) n’est pas dans Le Voyage dans la lune mais dans L’Arroseur arrosé.
J’ai moi-même attendu une seconde projection du Tigre du Bengale pour me convaincre du chef-d’œuvre qu’il est. Et j’ai analysé par la suite le motif de ma réticence à la première vision : j’avais en tête L’Invraisemblable Vérité, film en noir et blanc, comme aboutissement et référence du ton « langien ». L’arrivée des couleurs (qui ne me gênaient pas en d’autres films de Lang) dans cet univers asphyxié par le tragique en avait troublé la représentation mentale que m’imposait le noir et blanc de L’Invraisemblable Vérité ; représentation soudain confrontée à un chatoiement extérieur qui paraissait la contredire.
J’avais subi sur moi-même l’effet typique d’un de ces filtres culturels que je dénonce quand ils altèrent la vision immédiate, « innocente », donc entièrement réceptive, d’une œuvre.
Pratiquant résolu de l’esthétique de la transparence, Fritz Lang dirige l’acteur, désigne le décor, occupe logiquement l’espace et le temps, découpe l’action de façon à ne laisser apparaître que l’indispensable à la compréhension du récit. Cette matière, elle seule, porte le message du cinéaste, message qui est son regard même, son regard sur le monde, son regard substitué au nôtre. C’est en cela que s’affirme la très grande simplicité de son art et peut-être sa difficulté d’accès, comme de tout cinéaste qui évite d’afficher ses intentions, ne déforme pas les apparences pour leur imposer de force une signification, mais au contraire les charge de signifier par elles-mêmes ce qu’il souhaite qu’on y voie.
Pour répondre plus directement à votre question, je dirais que plus un metteur scène est universel, plus il est simple, et que plus il est simple, moins son propos, dont l’entrée n’est pas fléchée, sera pénétré par les spectateurs qui suivent docilement la signalisation culturelle en vigueur.
Le cinéma pour Fritz Lang est un prétexte pour sonder le monde. Dans sa mise en scène du Tigre du Bengale et du Tombeau hindou, l’esthétique n’est pas tout à fait réaliste. Ne pensez-vous pas qu’il utilise le septième art comme un exutoire ?
Permettez-moi de n’être pas totalement en phase avec les attendus de votre question. Le cinéma pour Lang n’est pas un « prétexte », mais l’outil élu entre tous de son travail. Il l’a élu entre tous parce qu’il lui paraissait le plus adéquat à l’exercice de ses facultés et à l’atteinte de son but. Son travail, comme celui de tout artiste créateur digne de considération, consiste à façonner un objet-miroir qui renvoie une image du monde plus intelligible que l’univers opaque, indéchiffrable, auquel on se heurte comme le papillon contre une vitre. Réordonnant le désordre des apparences, l’artiste est un démiurge ; il s’engage dans une concurrence avec les dieux, ce qui n’est pas une mince ambition. « Sonder le monde », c’est-à-dire tenter de le comprendre et de le clarifier, de rendre lisible l’illisible, oui, vous avez raison ; mais ce n’est qu’un aspect de son travail. Vous n’avez pas tort non plus d’ajouter l’idée d’exutoire à l’objectif global de Fritz Lang.
Second attendu de votre jugement : dans Le Tigre et le Tombeau, « l’esthétique n’est pas tout à fait réaliste ». Je m’interroge sur la raison de cette allégation. Est-ce parce que, au terme de la séance de prestidigitation, le sang qui s’écoule du coffre n’est pas le vrai sang de la victime ? Quiconque garde en mémoire les grands films de l’histoire du cinéma considérés comme réalistes aura, je présume, autant de difficulté que moi à discerner en quoi le diptyque de Lang s’écarte de leur esthétique.
Ces deux points précisés, on peut en effet employer le mot « exutoire », aussi bien que « catharsis », « exorcisme », « défoulement », voire « confession », toutes expressions désignant à peu près la même idée de délivrance, soit d’un tourment particulier, soit d’un mal-être général. Et cette idée épouse celle de recréation, ou plutôt réagencement, d’un univers plus respirable, que je formulais comme justification de l’existence de l’art, dans toutes les civilisations depuis les débuts de l’histoire humaine.
Les mises en scène d’Otto Preminger sont-elles orchestrées par les dialogues ou par le caractère des personnages ?
Au stade de l’élaboration du scénario, où sont dessinés les personnages, et de la rédaction des dialogues, vous vous interrogez sur ce qui va orienter le plus fortement, avec le plus de résonance (« orchestrer »), le travail du metteur en scène. Tout d’abord, il est clair que les dialogues, s’ils remplissent correctement leur fonction, sont issus des caractères et vont dans la même direction. Il n’y a donc pas lieu de les séparer des personnages. Dès lors, l’intérêt de votre question se recentre sur le trajet causal qui relie l’ensemble de l’écriture (du sujet, des personnages, des dialogues) à la mise en scène. Certes, chronologiquement, au départ, ce trajet existe, sur une ligne droite à sens unique, et il est le même pour tous les films. Mais il convient d’examiner concrètement le déroulement du travail.
On se rend compte alors que ce déterminisme unidirectionnel n’existe pas, a fortiori chez Preminger, l’un des premiers à avoir mis en cause le système hollywoodien de répartition des tâches (le scénario par l’un, les dialogues par un autre, la mise en scène par un troisième…). Déjà, au premier stade de l’écriture, le rapport de subordination entre l’histoire et les personnages est assez flou. Tantôt l’action détermine un personnage, tantôt c’est le contraire. Un caractère peut inspirer une péripétie comme une péripétie peut exiger l’arrivée d’un personnage. Quant aux dialogues, excepté le statut très spécial de certains metteurs en scène tels que Rohmer ou Guitry, chez qui la parole prend le pas sur les actes, la logique dramaturgique veut qu’ils sortent du moule de l’action plutôt que l’inverse. Mais là encore, une phrase peut provoquer un acte, voire une série d’événements. Le comportement du personnage dicte en principe le dialogue, mais les deux sont portés et reconstruits par l’acteur, et sous la direction du metteur en scène. Cela peut provoquer des inflexions importantes.
Toujours pendant le tournage, il arrive qu’un détail concret, un imprévu, amènent le réalisateur à modifier un comportement, ou carrément le cours du récit. Je pense qu’il faut prendre en compte la complexité des rapports entre les événements, l’environnement social, le décor naturel et urbain, les personnages, les acteurs qui les incarnent, la mise en scène et en images de tout cela. Il faut comprendre ces rapports comme une permanente interaction des éléments les uns sur les autres où la priorité causale de principe est fréquemment bousculée. Cette interaction est mise en évidence au stade du découpage où s’élabore une synthèse des composants d’écriture verbale et de langage audiovisuel.
En 1961, lors d’un échange de propos (reproduit dans mon livre L’Écran éblouissant), Preminger m’a décrit dans le détail la relation qui, selon lui, s’établit entre l’histoire à raconter et la mise en scène qui raconte, description qu’il résumait ainsi : « Bien que ce soit le travail effectif qu’on tire du sujet qui compte et non le sujet, [si tel sujet est plus ambitieux qu’un autre] l’approche en est différente et par conséquent le travail mieux inspiré. »
Pourquoi Otto Preminger était-il un cinéaste détesté à son époque ?
Il serait plus juste, je crois, de constater qu’il était incompris par une bonne partie de la critique, aux États-Unis bien entendu, mais aussi en France, quoique ce fût en France que l’on a commencé à le mettre à sa vraie place, comme vous le savez sans doute, notamment dans deux ou trois articles des Cahiers du cinéma (Philippe Demonsablon, Jacques Rivette) ; puis il a été propulsé aux sommets par le fameux « carré d’as » du Mac-Mahon. La critique officielle en France, notamment Yvonne Baby et Georges Sadoul, méconnaissait Preminger. Je me rappelle avoir été traité de « métaphysicien » par Sadoul, ce qui sous sa plume devait être une espèce d’injure, parce que je distinguais une unité dans des films où, de Laura à L’Homme au bras d’or, il n’apercevait que la diversité des sujets !
En fait, malgré les très grands succès publics remportés par ses films les plus connus, Preminger a toujours souffert d’un malentendu, qui se prolonge d’ailleurs de nos jours, à en juger par les commentaires de certains magazines lorsqu’on diffuse ses films à la télévision. Les critiques et les cinéphiles qui les considèrent de la même façon que n’importe quels produits de consommation courante, sont ceux pour qui la mise en scène de cinéma doit être ostentatoire (par les mouvements d’appareil, la singularité des plans, les effets de lumière, de montage, etc.), alors que tout l’art de Preminger, avec plus de fluidité encore que Lang, tend vers la transparence absolue entre notre regard et ce qu’il choisit de nous montrer. Ni la main de l’artiste, ni l’outil ne doivent s’interposer. En ce sens, qui est celui du classicisme le plus pur, le plus éloigné de tous les maniérismes, de toutes les coquetteries esthétisantes, de toutes les complaisances à l’égo, je dirais que le metteur en scène d’Angel Face et de Sainte Jeanne est le cinéaste mac-mahonien par excellence. C’est peut-être un motif suffisant de détestation !
Pour vous, quel est le meilleur type de scénario : un scénario presque vide sans aucune indication ou à l’inverse un scénario trop détaillé ?
J’ai envie de répondre : ni l’un ni l’autre. D’abord, s’il est « trop détaillé », l’adverbe « trop » indique déjà un excès répréhensible ! Avant de réfléchir à cette question il convient de savoir si le metteur en scène est ou n’est pas en même temps le scénariste. S’il occupe les deux fonctions, il va sans dire que plus son scénario sera détaillé, plus il se rapprochera de son travail ultérieur sur le tournage. En revanche, le problème se pose expressément si le scénariste et le metteur en scène sont deux personnes distinctes. Dans ce cas, si le scénario est très détaillé, il risque d’orienter le travail du metteur en scène de manière trop impérieuse et d’entraver ainsi sa liberté de création. C’est ce qui se produit par exemple dans le cas d’un roman porté à l’écran. Il est nécessaire de « l’adapter », c’est-à-dire de rendre au cinéaste les moyens d’exercer librement son métier, sans rester bridé par le romancier. On en déduira qu’un scénario trop chargé de détails concrets et précis ne peut convenir qu’à un tâcheron sans idées personnelles, qui se contentera de mettre techniquement en images l’histoire développée par le scénariste. Cela a existé jadis à Hollywood, et existe sans doute encore à la télévision, surtout dans le domaine des séries et feuilletons.
Pour un cinéaste vraiment créateur, un scénario dépouillé, voire pauvre en détails, est sans doute préférable, à condition toutefois qu’il soit vertébré : suffisamment structuré par les événements et par la consistance des personnages pour jouer son rôle de colonne vertébrale du récit qui se déroulera sur l’écran. Sinon, le metteur en scène devra remanier et compléter le scénario. Répétons-le : ce qui se déroule sur l’écran est la chair, modelée par le metteur en scène et qui forme l’œuvre ; mais cette chair pour tenir debout a besoin d’une ossature. Nous le savons, la frontière entre scénariste(s), dialoguiste(s), metteur en scène, si elle figure toujours dans les contrats, dans la pratique est beaucoup moins nette aujourd’hui qu’autrefois. Elle s’est en partie effacée à mesure que le réalisateur était reconnu, non plus seulement comme chef d’orchestre, mais comme compositeur du film. Il est d’ailleurs intéressant de savoir que ce dernier point était encore contesté de façon très polémique, et contre toute évidence, par certains scénaristes américains, tel Paul Jarrico, dans les années 1960 : voir le numéro 14 (juin 1962) de Présence du cinéma.