Organisé par le Collectif Jeune Cinéma, le Festival des cinémas différents fêtait cette année ses 10 ans. Eh oui, déjà… Co-dirigée par Angélica Cuevas et Gabrielle Reiner, cette édition-anniversaire s’est tenue à Paris du 9 au 14 décembre dernier, au cinéma L’Archipel puis à Mains d’Œuvre pour le week-end. Né dans le sillage du Festival d’Hyères, le Festival des cinémas différents semble pour cette raison beaucoup plus mûr que son âge même s’il parait toujours prêt à se réinventer. Toujours aussi pointus, enthousiastes et généreux, les membres du CJC nous proposaient cette année un focus sur le « Noir et blanc », des séances spéciales « 10 ans » ainsi que plusieurs « Trajectoires » – comprenez, monographies d’auteurs en vue sur la scène du cinéma expérimental contemporain tels Dietmar Brehm ou Izabella Pruska-Oldenhof. Autant d’occasions pour les spectateurs de voyager hors des sentiers battus, dans un esprit de rencontre davantage que de compétition, fidèle à cette image de festivals « hors de l’argent, [mais] seuls lieux de la passion du cinéma ».
Noir et blanc
Comme en témoignait sa belle affiche graphique, le festival des cinémas différents avait choisi cette année comme fil rouge le motif du noir et blanc, décliné en trois thématiques majeures : « Hantises », « Les Espèces » et « Dissolutions ». Parmi les courts métrages de la première séance, nous retenons tout particulièrement l’hypnotique Fenêtres du Canadien Alexandre Larose (jeune Canadien déjà programmé l’an passé avec Le Corps humain), le film de John Price The Boy Who Died (Canada, 2007) – d’une beauté à couper le souffle, ainsi que Flicker de Christina von Greve, magistrale expérience sensorielle et visuelle.
S’ouvrant sur les tribulations d’un chimpanzé échappé d’un home movie retravaillé par Eve Heller (Last Lost ; USA, 1996), la séance consacrée aux espèces animales fut quant à elle l’occasion de véritablement s’extasier devant l’un des moyens métrages de l’Allemand Kar Kels, Flusspferde (1993). Dans cet objet filmique jubilatoire (et pourtant, franchement scatologique!), Karl Kels arrime sa caméra face à l’enclos d’hippopotames du zoo de Vienne, et, grâce à un savant montage désordonné, nous fait progressivement participer à la lutte burlesque qui se joue entre ces mastodontes et les deux agents de propreté des lieux. Observer frontalement le réel faire son cinéma et s’inspirer au montage de l’énergie cinétique et de la grammaire chorégraphique qui s’en dégagent : telle est la « méthode » Kels – qui plus est, non dénuée d’humour, comme on aura pu le deviner.
10 ans
Mis sur pieds en 1999 en guise de résurgence au Festival d’Hyères (1965 – 1983), le festival des cinémas différents lui rendait cette année hommage. Composée de quatre films datant pour la majorité de la fin des années 1970, la séance du mercredi 10 décembre avait un parfum de « nouveau cinéma ». En ouverture, Marguerite Duras était à l’honneur, avec le toujours très beau Césarée (35 mm, 1979) composé de plans fixes du Jardin des Tuileries où flotte le souvenir de Bérénice, la répudiée… La présence de ce court métrage était surtout l’occasion de se rappeler des liens étroits qui existaient entre Duras et Hyères. Elle y fut ainsi membre du jury en 1975 puis en 1978 ; entre temps, Son nom de Venise dans Calcutta désert était présenté hors compétition, comme plus tard Césarée, Les Mains négatives et Aurélia Steiner.
Par deux fois en ce 10 décembre, le souvenir de feu Alain Robbe-Grillet nous était également rappelé. Clin d’œil était en effet fait au « voyeur voyageur » à travers deux courts atypiques du Japonais Kunihiko Nakagawa : Les Deux Chambres distantes et/ou les deux chambres discrètes (1975 ; 16mm) et La Plage à distance (1977 ; 16mm). Adaptés de deux nouvelles du même nom et mêlant voix-off française et japonaise, ces deux films s’inscrivent fidèlement – mais, à distance – dans les styles érotique et objectiviste caractéristiques de la signature littéraire et cinématographique du ‘maître’. En outre, grâce au noir et blanc, ils nous ramenaient davantage aux premières œuvres de l’écrivain-cinéaste (L’Immortelle en tête) qu’à ses films ultérieurs, au charme souvent daté. En bref, une découverte séduisante.
Trajectoires
Quant à l’affection pour les membres du CJC pour la création canadienne, celle-ci se confirmait dans la section monographique. Très remarquée l’année dernière avec son film Pulsions (2007, 16 mm), la jeune Izabella Pruska-Oldenhof se voyait cette année offrir un espace de visibilité pour l’ensemble de ses films, de My I’s (1997, mini-DV) – plongée nostalgique et plastique dans le paradis (?) de l’enfance – à The Garden of Earthly Delights (2008, 16mm) – réappropriation brillante de l’univers et des techniques de Stan Brakhage. Malgré les quelques aléas de la projection entachant la qualité des films d’Izabella, le réel talent de cette dernière était très certainement perceptible. Dans ses films, les manipulations sur l’image et le son engendrent de fascinants effets, sensualité et désir affleurent à fleur de pellicule (Her Carnal Longings ; 2003), les corps captés – qu’ils soient humains ou animaux (Light Magic, 2001 ; Song of the Firefly, 2002) – révèlent une insatiable envie de radiographier l’invisible et enfin, intime biographique (Echo, 2007) et quête identitaire se mêlent à abstraction visuelle et imaginaire cosmogonique.
Parmi les autres artistes en « trajectoire » cette année, l’Autrichien Dietmar Brehm étonnait lui, par la prégnance de film en film de ses fantasmes sexuels. Artiste multiforme, Dietmar Brehm prête un soin particulier au rendu chromatique de ses films défendant « un cinéma subjectif et érogène qui n’a plus rien à voir avec une quelconque tradition des rapports aux couleurs ou à leur absence ». Introduit-il sciemment dans ce cinéma un second degré lorsque les images se font aguicheuses, voire pornographiques, et que la bande sonore produit en nous un mélange de frustration et d’angoisse à l’écoute répétée d’appels téléphoniques sonnant inexorablement dans le vide – comme si les opératrices de quelque standard rose avait déserté leur poste ? Dans tous les cas, la volonté d’une démarche subversive est à l’œuvre – dérision (érotique ou cinéphilique) ou pas, et nous voilà définitivement pris dans un entre-deux fait de répulsion et d’attraction. Un antagonisme assez proche d’un autre Autrichien-trash à l’affiche en ce moment : Ulrich Seidl.
Clôture
Enfin, pour bien saisir l’esprit animant ce festival, un coup de projecteur sur les films programmés pendant le week-end de clôture est nécessaire. Car qui dit « cinéma différent » ne se restreint pas à seulement à cinéma expérimental. Pour conclure les festivités, plusieurs documentaires engagés étaient notamment proposés. Représentant la création francophone, Le Goût du Koumitz du Belge Xavier Christiaens (Belgique, 2002) et N’entre pas sans violence dans la nuit (2007) du trop méconnu Français Sylvain George marquaient la journée du samedi 13 décembre. Enfin, L’Impossible Trajectoire A1 – road-movie élaboré en Super 8 avant transfert à la tireuse optique sur 16 mm – de Drazen Zanchi (Croatie/France, 2008) nous conviait à traverser les Balkans, le long de l’autoroute reliant Split à Zagreb, au fil d’une route hasardeuse entre passé et présent.
En attendant la suite
La page de ce dixième festival refermée, il nous reste à noter l’édition par le CJC d’un DVD retraçant les œuvres sur supports argentiques et vidéos de cinéastes ayant marqué l’histoire du festival ; 3ème opus diffusé en partenariat avec Lowave. Et d’ici à la 11° édition, rendez-vous est pris sur le net à l’adresse suivante : www.cjcatalogue.org. Mis en place dans le cadre d’un plan de numérisation initié par le ministère de la Culture, ce portail permet aux retardataires, aux curieux ou aux inconditionnels de visionner une sélection tout fraîche faite parmi les 900 films alimentant le catalogue du collectif. Alors, n’hésitez-pas à vous y rendre pour que « le cinéma différent soit vu et continue d’être vu » – et bien sûr, rendez-vous aux prochains événements lancés par le CJC, car, n’en doutons pas : « les films sont plus beaux et prennent tous leurs sens quand ils sont vus en salle, sur leur support d’origine ». Peu importe le dilemme, choisir de voir des œuvres différentes est une résolution de l’année 2009 tout à fait honorable et fortement conseillée…