Le Miroir qui fuit, dans les mots de l’auteur Giovanni Papini, c’est la métaphore du futur – ce en quoi se voit l’homme, ce vers quoi il tend, sans que jamais il puisse arrêter la fuite de cet alter-ego. Si le réalisateur Ulrich Seidl use de la même métaphore, il s’interdit le raffinement stylistique du littérateur transalpin, préférant un style brut à la limite de l’impersonnel. Si le propos reste terriblement émouvant, ce pathos potentiel semble parfois vouloir légitimer un vide profond de mise en scène. L’effet y est, certes, mais après ?
Olga est infirmière en Ukraine. Travaillant sous une neige éternelle pour un salaire de misère qui peine à couvrir le minimum vital de sa famille, et surtout de son petit bébé, elle décide donc de partir vers l’ouest. Vers l’Autriche donc, pour rejoindre une amie émigrée et tenter sa chance dans cet ailleurs aux allures d’Eldorado. Là-bas, Paul peine à trouver sa voie, dans un pays ravagé par le chômage. Lorsque son beau-père lui propose un job en Ukraine avec à la clé la possibilité, en premier lieu d’éponger ses dettes, et celle de recommencer sa vie, il met les voiles à l’est.
L’herbe est toujours plus verte dans le jardin du voisin, dit la sagesse populaire. Évidemment, Olga et Paul vont l’apprendre à leurs dépends – ce n’est pas en passant une frontière qu’une situation bloquée va se débloquer. En vain, donc, les errances de ces deux personnages au fil de vies passées à vouloir s’en sortir ne serait-ce qu’un peu. On pense très fort au sombre et vériste Lilya 4 Ever, avec lequel Import Export partage sa nudité visuelle, son ton cru à la limite du documentaire, la gravité de sa thématique – et la rudesse de son sujet. Hélas, la gravité d’un sujet ne fait pas, seule, un film – malgré ce que semble croire le réalisateur Ulrich Seidl.
Import Export ressemble ainsi à un enchaînement de scènes oscillant entre l’éprouvant et le totalement inacceptable (Olga se prostituant face à une webcam où Paul et son beau-père se partageant les services d’une gamine prostituée et camée jusqu’au yeux, notamment). Conscient de la force de son sujet, le réalisateur laisse à cette seule intensité le soin d’occuper pleinement l’écran, sans développer réellement de style, pensant certainement de cette manière renforcer l’aspect de documentaire amateur underground d’Import Export.
Parfois, cependant, une certaine folie semble s’emparer du réalisateur : lorsque Paul se démène, seul sur une piste de danse misérable, lorsqu’il visite une incroyable barre d’immeubles destituée et habitée par les gitans d’Ukraine, ou dans sa dernière séquence ; tandis que de son côté Olga va connaître d’étranges instants dans un hospice pour vieux Autrichiens, à esquisser des pas de danses avec un vieil homme mourant ou lors d’une célébration baroque et inquiétante… Mais ces moments de folie qui font montre d’une véritable capacité à la stylistique cinématographique, à un véritable rapport à l’image sont noyés dans une – longue – succession de scènes sans personnalité, diversement sombres…
La Machine broie ceux du peuple le plus bas qui tentent – même de la plus modeste des façons – de s’en sortir. Cette constante semble avoir été redécouverte par Ulrich Seidl, qui nous re-présente le sujet dans cet Import Export indéniablement rude et impressionnant, mais qui se laisse finalement aller à la facilité. Eût-il versé plus longuement dans cet humour ironique désespéré qu’est la folie pour les toutes petites personnes qu’il tente de décrire, le film eût certainement eu une réelle force. En l’occurrence, la force vériste et sombre d’Import Export se dilue dans le regret que le réalisateur n’ait pas voulu tenter d’aller plus loin.