À la cour de Prague, pendant dix nuits de l’été 1610, on scrute le ciel par le bout de la lorgnette d’un des télescopes inventés par Galilée. Jean Kepler, astronome de l’empereur germanique Rodolphe II, oscille entre ombre et lumière, science et rêverie.
L’Œil de l’astronome est le premier passage à la fiction de Stan Neumann, cinéaste passionné par les lumières de la culture européenne et attaché, pour le meilleur, à la forme audiovisuelle. Si La langue ne ment pas – passionnante adaptation du journal intime de Victor Klemperer, décortiquant la langue du IIIe Reich – eut droit à une sortie en salle, il restait proche de cette forme. Avec ce dernier film, le cinéaste s’est précisément posé un problème esthétique, y apportant une curieuse réponse. Tourné sans lumière additionnelle avec le Canon Mark IV, le film est éclairé à la lueur des bougies et avec la pâleur bleutée de la lune. Une technologie que Stan Neumann considère comme sa « lampe à voir la nuit ».
Le moins que l’on puisse dire est qu’il en résulte tout autre chose que Barry Lyndon (!), un étrange glaçage numérique, bien loin de l’image chaleureuse et vibrante pouvant se dégager d’œuvres aussi dissemblables que Tomboy de Céline Sciamma ou Tahrir de Stefano Savona – ces derniers usant de versions plus anciennes du fameux appareil numérique. Raté, fort peu séduisant quoi qu’il en soit, le rendu ne s’avère pas inintéressant et n’invalide pas pour autant L’Œil de l’astronome. Se dégage une étrangeté dans ce régime d’image – renvoyant à l’expérience du « voir pour la première fois » vécue par les protagonistes –, ainsi qu’une distanciation avec la reconstitution, procurant un sentiment de théâtralité plutôt seyant pour le récit.
Autour d’un instrument remettant en cause quelques dogmes bien ancrés dans les consciences chrétiennes, on discute, on se dispute, on fait galoper l’imagination et les fantasmes, on débat et l’on divague. Et si l’instrument est innocent – l’est-il vraiment ? –, c’est bien le regard qui figure parmi les coupables, celui des tenants de l’obscurantisme. Dans ce théâtre nocturne, s’organise une déambulation assez passionnante dans l’imaginaire, avec un ton qui mêle l’érudit au badin, et même quelque chose de l’ordre de la bouffonnerie. Notamment celle d’un Jean Kepler truculent (bien « secondé » en cela par Denis Lavant), à la fois scientifique et mage, dont les oreilles peuvent bien siffler tant on lui attribue une fréquentation assidue du sabbat – la narration est en effet rompue par les accusations de quidams, recueillies face caméra.
L’idée d’un enfant mutique devenant les yeux d’un Kepler gagné par la cécité ne manque pas de poésie. Face à un objet dont le sujet est la lumière, mais dont le royaume se trouve dans l’obscurité, tout est affaire de regard, de mécanismes ayant à avoir avec la projection, l’apparition, la disparition. Et si cet appareil montrait des choses qui n’existent pas ? Comment regarder quelque chose que l’on n’a jamais vu ? Tout ceci fait que L’Œil de l’astronome, malgré les nuances formulées quant à la forme, représente une méditation joueuse à propos de l’expérience du regard, un honorable conte de cinéma, et un fort bel hommage à l’invention du 7e art.