Plusieurs fois repoussé, Le Chat du rabbin s’est fait beaucoup attendre. Après le très évitable Gainsbourg, vie héroïque (2010) et quelques réalisations en animation (notamment des clips), on attendait avec curiosité l’arrivée du trait et de l’univers fantasques de Joann Sfar sur grand écran.
Auteur aussi talentueux que prolifique (plus de 150 ouvrages en dix ans), représentant désormais (très) confortablement installé de ce que l’on a appelé « la nouvelle bande dessinée », Joann Sfar est un créateur compulsif, un maniaque du crayon, attribut dont il ne se sépare jamais. Il résulte de cela une œuvre foisonnante, où les excellents débuts de séries (Merlin, Socrate le demi-chien, Donjon, Professeur Bell, Petit vampire, journaux dessinés…) se perdent parfois – à plusieurs égards – dans la multitude de projets en cours. La production de l’adaptation du Chat du rabbin fut lancée en 2007, avant Gainsbourg, vie héroïque, sorti en janvier 2010. Le frénétique bédéaste a ici fait l’apprentissage du temps (long) du cinéma ; maintes fois annoncé, le film s’est heurté de plein fouet à l’entrée dans l’ère de la toute-puissante 3D, raison commerciale plus qu’artistique de la part d’un distributeur « souhaitant » une refonte pour une exploitation en relief, « dans les salles équipées ».
De gadget inutile dans la plupart des cas, on passe ici à une logique de l’absurde concernant le relief. D’abord parce que le dessin chaleureux, vibrant et un peu fou de Sfar ne conduit peut-être pas à Bill Plympton, mais, quoi qu’il en soit, à tout sauf à la 3D. Sur les pages des albums, son trait est déjà, en quelque sorte, une forme d’animation, ce qui, au passage, constituait un véritable intérêt pour un passage au cinéma. C’est un peu l’histoire de l’idiot se mettant en tête de faire entrer un carré dans un rond… Ensuite et surtout, il s’avère que le rendu de la 3D laisse vraiment à désirer, on se trouve presque dans l’embarras lorsque qu’aplats et volumes connaissent de façon chronique – tout particulièrement lors de l’arrivée du Malka des lions – des problèmes évidents de superpositions. Bref, au royaume de la distribution (de lunettes), les gogos (à grosses lunettes) sont les rois, mais pas les gagnants.
Il n’est pas fréquent que les vicissitudes de la production soient aussi perceptibles à la vision d’un film. Et pour finir sur ce point, relief ou non, l’animation demeure globalement pauvre. Le Chat du rabbin reste toutefois disponible en 2D « dans les salles (encore) non équipées » – pour deux à trois euros de moins. Et il constitue un divertissement de qualité, les dialogues font parfois mouche et la mise en voix s’avère souvent réussie – particulièrement pour le rabbin (Maurice Benichou), douce et chaleureuse. On reste néanmoins sur notre faim quant à celle du chat, pourtant prometteuse puisque c’est François Morel qui officie. Si le choix de croiser le récit de plusieurs albums atténue l’épaisseur des tordantes disputes théologiques entre le chat et son rabbin, il dynamise l’ensemble en le projetant vite sur le terrain de l’aventure. Il est en effet question d’une équipée motorisée à la recherche d’une Jérusalem noire en compagnie du rabbin et de son animal, d’un cheik éclairé et de deux russes, l’un très blanc et déjanté, l’autre un peu rouge et arrivé à Alger dans une caisse remplie de rouleaux de la Torah pour échapper aux pogroms. Sur la route de l’Éthiopie, on croise notamment – excellent passage –, au Congo, un reporter belge je-sais-tout un peu tête à claques.
L’enchaînement rapide des situations fait que l’on frôle parfois le petit traité œcuménique de tolérance un peu facile, mais la verve qui opère permet de pourfendre l’arrogance, religieuse mais aussi coloniale, avec un sens du divertissement qui parvient à se maintenir sur le terrain d’une intelligence louable et pas si commune. Pour les yeux, on repassera, pour la tête, c’est toujours ça.