Pour son premier film entièrement réalisé en France, Djamshed Ushmonov tente d’ausculter les dangers de l’obsession amoureuse tout en s’imprégnant du mysticisme de la classe bourgeoise. Seulement, n’est pas Chabrol qui veut. Et à force de vouloir démultiplier maladroitement l’ambiguïté sentimentale, le réalisateur tombe dans le piège d’une intrigue bien trop lisse, qui peine à tirer profit des zones d’ombres censées constituer son tableau de fond. Dommage donc, car les ingrédients d’un polar de qualité ne manquaient pas.
Pauvre Léa Seydoux. Il faudrait croire que depuis sa figuration de Belle Personne chez Christophe Honoré, sa cinégénie ne se résumerait, pour certains cinéastes, qu’à une énigmatique inexpressivité, voire à une certaine forme d’abstraction. Le Roman de ma femme ne semble pas échapper à ce courant de modélisation et tente donc d’utiliser ce potentiel dramatique comme principale trame sentimentalo-policière. La disparition soudaine de son époux Paul, un avocat talentueux, laisse la jeune Ève criblée de dettes. Cependant, tandis que la police ouvre une enquête, Ève reçoit le soutien de Maître Chollet (incarné par Olivier Gourmet), l’ancien mentor de son époux. Cet homme récemment veuf et qui prétend n’avoir plus que quelques années à vivre, ne tarde pas à racheter les dettes de la jeune femme. Une proximité s’installe entre les deux individus, éveillant ainsi les soupçons de la police.
La relation entre ces personnages ne serait-elle donc que matérielle ? Et à qui profiterait le jeu de la manipulation amoureuse ? Avouons-le, rien de réellement nouveau dans ce topos interrogatif censé composer l’intrigue principale du film. Malheureusement, alors que la froideur et l’hypocrisie de la classe bourgeoise auraient pu offrir au sujet du film une originalité de traitement, il est bien dommage de constater que le réalisateur se laisse piéger par les conventions. Le cinéaste peine à tirer de la solitude de ces personnages des situations dramatiques intéressantes, tant son dispositif de mise en scène semble aussi codifié que le milieu social servant comme toile de fond.
Même si elle est supposée contenir tout le suspense du film, la relation entre les personnages s’avère en effet bien trop rapidement superficielle. On peut comprendre le souhait de vouloir imprégner le film d’une ambiance quelque peu romanesque, mais une telle intention de mise en scène appauvrit ici la construction des personnages, contraints à une théâtralité langagière frisant souvent la caricature. La jeune Ève a beau être de bonne famille, on émettra facilement des réserves sur la possibilité de s’exprimer en vers et en langage stendhalien à tout juste vingt-cinq ans ! La superposition des différentes intrigues ne parvient pas à compenser ce manque de crédibilité, tant elle révèle l’extrême simplicité des différents schémas amoureux mis en scène. La relation entre la professeure de danse et un réfugié tadjik (admirablement interprété par Maruf Pulodzoda, le propre frère du réalisateur), qui n’est autre qu’un client de Maître Chollet, serait donc un exemple d’authenticité tandis que la romance progressive entre la jeune Ève et ce fameux avocat relèverait de la matérialité pure et dure.
Ce genre d’intentions accable la représentation amoureuse et bourgeoise des clichés les plus familiers, du prétendu attachement à la consommation matérielle à la volonté d’exercer un droit du plus fort sur ceux qui ont des problèmes de santé et de cœur. Pourtant, le choix des acteurs avait de quoi donner au film une part importante de mystère et ménager certains moments de tension, entre le regard cachottier et pervers d’Olivier Gourmet, et la vulnérabilité ambivalente de Léa Seydoux. Hélas, le film perd son efficacité en transformant ces atouts en ingrédients de suspense, plaquant ces éléments comme une recette préconçue et attendue. Loin des conventions cinématographiques figées, ce n’est finalement que dans ses moments d’abandon que le film atteint une dimension dramatique pertinente. La déclaration de Léa Seydoux à son maître sauveur constitue peut-être à cet égard la scène la plus réussie du film, renversant les cadres et les limites que le film s’était jusque-là imposé. Dommage que de tels moments soient donc rares et que le souhait d’afficher un réalisme social vieillot ne prenne le pas sur une liberté d’imagination sans aucun doute prometteuse.