Alors que les sujets liés à l’immigration et à l’identité nationale sont au centre des (mauvais) débats politiques, le cinéaste militant Romain Goupil fait se confronter la violence d’un thème comme l’expulsion à un groupe d’enfants qui entre à sa manière en résistance. Très divisée sur le procédé, notre rédaction vous propose de découvrir deux approches totalement différentes du film. Et vous, quel est votre avis ?
POUR (par Arnaud Hallet)
« Si quelqu’un devait se borner à exiger des papiers pour tous, prétendant ne vouloir que cela, il s’enfermerait lui-même dans une contradiction : quand tout le monde aura des papiers, les papiers auront par la même perdu toute valeur. Celui qui réclame « des papiers pour tous ! » réclame aussi, d’un point de vue objectif, que les papiers soient ultimement dévalorisés, anéantis. En d’autres termes, le véritable contenu de la revendication « Des papiers pour tous ! » pourrait se formuler ainsi : il faut que tout le monde ait des papiers pour que tout le monde puisse les brûler. »
Le 22 mars 2067, Milana, tchétchène, se souvient de ce qui lui est arrivé il y a soixante ans. Elle dit même précisément ne pas se souvenir de qui était président de la République à l’époque. En 2009, Milana est élève en classe de CM2 et un camarade de classe sans papiers est alors expulsé. Quand elle se fait à son tour menacer, sa bande de copains et elle décident de prendre les choses en mains, à leur manière. C’est la révolte des gamins. Les Mains en l’air est un conte : moral, satirique et d’horreur.
Romain Goupil se met lui-même en scène en tant que père de famille plutôt réformiste : il essaye d’arranger les choses, de faire jouer ses relations, bref, autant de formules qui construisent un personnage politiquement tiède. Son leitmotiv pourrait être : faisons du mieux que nous pouvons, mais sans hystérie. Et face à lui, le merveilleux personnage interprétée par Valéria Bruni-Tedeschi : la mère, joli personnage rebelle, révolté. Révoltée contre quoi ? Elle ne le sait pas forcément elle-même, pas toujours, à tout le moins. En effet, l’expulsion d’un gamin qui étudie dans une école française lui semble être une raison suffisante à la naissance d’une lutte. Romain Goupil, lorsqu’il semble caricaturer l’esprit de rébellion impulsif de la mère comme l’image parfaite de la révolte, et donc lui conférer les traits uniques de la passion (le cœur révolutionnaire contre le pragmatisme gouvernementale et policier), il lui confie un vigoureux discours. Par exemple, elle met le doigt sur l’absurdité d’un quota fixé à l’avance concernant le nombre d’expulsions des sans papiers : comment deviner à l’avance ? Les actions de la mère étaient déjà de belles prises de positions, mais elles ne suffisent plus : il faut l’accompagner d’un discours. Pour agir sans parler, il y a les enfants. Car le voilà le cœur du film : l’enfant, et plus exactement la bande de copains. Car Les Mains en l’air est aussi le récit d’une perte de confiance en l’adulte : le désir de jeunesse, d’innocence, comme état suprême. Chez Goupil, que ce soit dans Mourir à 30 ans ou dans Une pure coïncidence, se met en jeu l’exaltation de la bande de potes. On sent d’ailleurs la spontanéité des enfants avec certainement une large place laissée à l’improvisation, ou à quelques plans pris sur le vif, alors que les enfants se chamaillaient ou blaguaient réellement entre eux. Toute cette atmosphère de camaraderie accueille également une histoire d’amour. Sur la toile de fond sèche, politique et froide s’en tisse une nouvelle plus romanesque, un vrai conte prend son envol petit à petit. Les enfants se fréquentent tous les jours, se promettent de ne jamais se quitter, se montrent solidaires avec Milana et prennent des initiatives en toute indépendance du monde des adultes qui constitue selon eux, une planète à part. Se soumettre aux décisions des grands est trop difficile : ils décident de vivre entre eux, loin de tous. C’est la radicalisation de l’amitié : exclusivité des rapports poussée à son extrême. Rien d’autres ne compte pour ces gamins que de rester ensemble, de ne pas voir partir Milana comme ils ont vu partir Youssef (leur ami, premier expulsé dans le récit). Ils s’accordent leur propre confiance, la seule valable maintenant pour eux. La bande de copains est le moyen de se créer un autre possible : veine révolutionnaire chère à Goupil, forcément. Il s’agit ni plus ni moins que d’écrire de nouvelles règles.
Le procédé de Goupil rejoint celui de Voltaire avec son candide qui en portant un regard neuf sur les atrocités humaines révèlent leur absurdité : transformer un quotidien en spectacle répugnant. Les Mains en l’air pousse le spectateur à s’étonner de ce qu’il peut voir pourtant habituellement à la télévision, dans la presse etc. C’est aussi une pure question de traitement de l’information qu’interroge le film : sa diffusion et sa réception. Que valent les journalistes face à la disparition soudaine de quelques enfants ? Comment mettre en scène cette disparition : liste de petites cérémonies, d’interviews avec les parents… ? Il suffit de voir le vent de panique qui saisit l’appareil médiatique, imaginant le pire pour ces enfants disparus, et tout près, ces mômes qui s’occupent à gaspiller du ketchup. La disproportion entre les deux mondes est une franche réussite : l’emballement narratif s’en suit d’autant plus. Le frère de Cendrine (Bruni-Tedeschi) interprété par Hippolyte Girardot trouve, lors d’une courte scène, le moyen d’entrer directement en conflit avec elle par un discours totalement ordurier qui contraste avec les formes que s’obligent à prendre toutes les autorités policières et médiatiques avec les parents. Il accuse sa sœur d’entretenir sa bonne conscience de gauche. C’est aussi le moyen de questionner réellement les raisons de ses agissements. Étant le seul et dernier adulte sensible et instinctif, elle se préserve de toute justification trop appuyée. Un film explique déjà tout du moment qu’il trouve des personnages, et Romain Goupil le sait – tout en évitant le manichéisme, qui serait un fardeau bien trop lourd à porter pour un film avec un sujet si brûlant. La peur de la contamination est très présente chez les policiers notamment : « En province, ils commencent à imiter vos conneries. » L’interrogatoire musclée d’un des gamins de la bande ou le bruit amplifié des pas d’une petite troupe de C.R.S. devenant alors un grand monstre froid de l’oppression, sont autant de dénonciation d’un mal toujours présent mais de plus en plus camouflé : la pratique de la force et du pouvoir dans son excès. Afin de lutter contre ce pouvoir en place, Goupil propose son alternative en le mettant entre les mains des enfants : la caméra est toujours à leur hauteur. De nombreux plans montrent Blaise et sa petite sœur encadrés par leurs parents (Bruni-Tedeschi et Goupil) lorsqu’ils marchent dans la rue. Le cadre coupe les têtes des parents et se concentre sur les enfants : seule la voix des adultes nous parvient, et un fragment de corps. Ce sera toute la quête du film : décapiter l’autoritarisme, quitte à le faire naïvement.
La force d’un prologue et d’un épilogue futuriste tient dans la capacité du film à rendre indigne les agissements de répression et d’expulsion que le gouvernement actuel entretient. Le regard des enfants permet déjà de dresser une absurdité de la situation mais le décalage temporel tient à confirmer le point de vue de l’auteur, que le débat pourrait devenir inacceptable jusque dans sa formulation, ce qui renvoie indéniablement à la question d’identité nationale ou autres irritantes formules. Reste une question pour le réalisateur : combien de temps faudra-t-il afin de prendre conscience de l’irrecevabilité de la situation ? Les Mains en l’air, en déployant un récit solide, tantôt joyeux et véloce, tantôt grave et sec, constitue une œuvre humaniste et militante – jamais l’un sans l’autre. Le film de Goupil sort quelques jours après l’évacuation des salariés sans-papiers qui occupaient les marches de l’Opéra Bastille. Rien n’est plus fort que ce symbole : là où l’hypocrisie gouvernementale sévit toujours plus (des sans-papiers qui constituaient « une gêne importante pour la libre circulation des personnes » selon le préfet de police…), fuyons vers d’autres possibles. Où sont-ils ? Dans la tête des gosses.
CONTRE (par Marion Pasquier)
Fidèle à sa veine militante, Romain Goupil propose avec Les Mains en l’air une fable politique traitant du sort des enfants sans papiers en France menacés d’expulsion. Un sujet loin d’être pauvre, mais qui est ici traité avec de telles maladresses que le film ne suscite qu’un sentiment d’irritation.
22 mars 2067, une femme d’âge mûr se remémore son passé. Milana, Tchétchène en CM2 immigrée en France, aime passer du temps avec sa bande d’amis, Blaise et sa petite sœur Alice (4 ans), Ali, Youssef. Après l’expulsion d’un de leurs camarades africain, Milana est à son tour menacée. Pour la protéger, la mère de Blaise et Alice, Cendrine (Valéria Bruni-Tedeschi) décide, avec la complicité de la directrice de l’école, d’accueillir temporairement la petite dans sa famille. Lorsque le danger devient imminent, les enfants fuguent et se mettent à l’abri dans le repaire qui héberge leurs jeux.
C’est avec maintes lourdeurs que nous est décrite cette aventure. Romain Goupil filme à hauteur d’enfant, mais jamais nous ne nous sentons proches d’eux. Leur jeu et leurs dialogues semblent bien trop calculés, artificiels, pour être crédibles. Pas un instant nous ne croyons en la perspicacité dont ils font preuve, trop improbable pour l’âge qu’ils ont (le rôle de la petite de 4 ans frôle à cet égard le ridicule).
Le désir du cinéaste de mettre en évidence la beauté des bambins et leur joyeuse spontanéité se fait bien trop sentir. Loin d’être émus, nous sommes agacés par l’accumulation de clichés sur l’enfance : voler des bombecs, graver des DVD pour les revendre en douce, chahuter en se brossant les dents (tout cela accompli à coup de rires et de regards émerveillés par diverses découvertes)… sont autant de moments où l’on nous désigne sans finesse ce qu’a de touchant l’innocence de ce monde menacé par la dureté des adultes. Une séquence de vacances à la campagne est en ce sens franchement exaspérante : on s’amuse à attraper des insectes, à grimper dans les arbres, à se baigner dans un cours d’eau, à manger des pommes cuites au feu de bois… Que c’est bon de savoir jouir ainsi du moment présent, en toute fraternité, alors que le danger menace, semble nous dire le film. Au comble du cliché, l’histoire d’amour innocente entre Blaise et Milana, qui 60 ans plus tard se souvient encore avec émotion du premier homme de sa vie : regards complices, échanges de mots doux sous la porte, élans de jalousie, appréhension de la séparation… rien ne nous est épargné.
Le régime sarkoziste est explicitement dénoncé, ce qui ne manque pas de faire sourire au vue du casting du film (selon Goupil toutefois, Valéria Bruni-Tedeschi, demi-sœur de la première dame de France, aurait été choisie avant 2007). Le personnage de Cendrine aurait pu être consistant : qu’est-ce qui motive en effet cette mère de famille, jouissant d’une vie confortable, à prendre sous son aile une pauvre immigrée ? Agit-elle par pur altruisme ? Pour se donner bonne conscience ? Parce que sa vie finalement l’ennuie ? Les contradictions auxquelles se heurte ce personnage (montrées du doigt avec virulence par son frère – Hippolyte Girardot – et par son mari – Romain Goupil) permettent judicieusement au film d’échapper à l’opposition radicale entre adultes et enfants. Les adultes ne bénéficient pas tous de l’assurance rationnelle s’opposant à l’instinctivité des enfants, puisque Cendrine réagit comme eux impulsivement, avec ses émotions. Pour autant, rien de bien constructif n’est fait de la problématique complexe que soulève son engagement. Chaque apparition de Cendrine est là pour montrer que, comme les enfants, elle est du côté des justes révoltés contre l’abject pouvoir. Le message ne va pas plus loin. L’attitude des médias ne soulève pas davantage de questionnements, tant l’indécence des journalistes montrée ici n’est plus à prouver. L’idée est bonne, en revanche, de faire interpréter par Romain Goupil le rôle du mari tempérant l’emportement de sa femme en prônant le compromis, car ce personnage est employé à contre-emploi du discours radical du cinéaste.
Les Mains en l’air ne fait ni sourire, ni s’attendrir, et surtout pas réfléchir. Les projections faites devant des enfants ont visiblement suscité le grand intérêt de ces derniers. On ne s’en étonne pas, il est sans doute efficace de leur décrire des personnages dans lesquels ils se retrouvent pour les sensibiliser, dans un récit simple, au problème de l’expulsion des sans papiers. Mais le film ne prétend pas s’adresser uniquement à des enfants, et en cela il rate sa cible. L’opposition manichéenne entre les bons et les méchants est trop simpliste, la situation trop limpidement scandaleuse pour faire réfléchir. L’utilité d’un film politique qui se contente de dénoncer plutôt que d’inviter à penser semble ainsi bien faiblarde. À force de lieux communs et de prise en otage du spectateur, le message humaniste des Mains en l’air se colore d’une telle naïveté que nous sommes davantage indignés par le film que par ce qu’il dénonce.