Contre-Enquête affronte des thèmes canoniques du polar (le flic débordé par ses affects, la tentation de la justice individuelle) sous un angle très évocateur dans la France d’aujourd’hui, où les images de télévision se repaissent avec complaisance de la douleur des parents de victimes de faits divers, de leur soif rageuse de « justice » confinant à l’instinct de vengeance. Dommage que le film ne fasse preuve que d’une maigre acuité dans son traitement des médias. Reste l’omniprésence de la question de la justice : le besoin pour la partie civile qu’un coupable paie, l’impossible infaillibilité de l’appareil judiciaire, l’éventuelle instrumentalisation de ce système par un faux innocent… Un double retournement de situation rappelle Fritz Lang et son Invraisemblable Vérité, mais on est bien loin de son implacable questionnement social et métaphysique. Seul le twist ultime assume la noirceur et la sécheresse pressenties depuis le début, et donne un sens – discutable mais assumé – au film, dont on finissait par se demander où il voulait en venir.
Vingt ans de P.J., consultant puis scénariste de séries télé, co-scénariste de 36 quai des Orfèvres, Franck Mancuso, habité par son sujet, a une histoire à raconter, il ira jusqu’au bout, sans fioritures. Il opte pour la ligne claire – image lumineuse et colorée, mouvements d’appareil racés, narration réduite à l’essentiel. On pourrait dès lors s’attendre à une bonne tenue du récit ; mais non, ça patine, le pragmatisme tourne à vide. Pourtant, Contre-Enquête ne se soucie même pas de livrer tous les éléments de l’enquête, de faire suivre la façon dont elle se mène. Pouf, on trouve un coupable, reste à déterminer s’il l’est vraiment. Pourquoi pas : c’est le sujet, et ça nourrit la suite. Mais on se retrouve face à un curieux paradoxe : le film prend un relatif relief quand il s’attache à des instants hors récit et ne paraît jamais aussi long que lorsqu’il fait avancer la narration au pas de course. Parce qu’alors il renonce à installer efficacement personnages et situations. Malheureusement, lorsqu’il en prend la peine, il s’enlise dans des scènes calamiteuses de dialogues familiaux, ménagers ou amicaux – ce qui ne laisse pas grand-chose à se mettre sous la dent… En fait, le scénario balance entre une sécheresse en conflit avec son emballage presque suave et une tentative de se colleter avec l’intime et le relationnel trop artificielle pour convaincre.
On doit reconnaître au film une absence totale d’effets de manche. Mais la médaille a son revers : les images semblent dénuées de tout enjeu. La clarté de la photo apporte un constant décalage par rapport à la noirceur et aux ambivalences que l’intrigue contient en germes, décalage plein de possibilités que Mancuso n’exploite pas, s’en tenant la plupart du temps à l’illustration. Délivrant des indications grosses comme un camion ou en distillant de mystérieuses qui ne prennent sens que quelques scènes plus tard, l’intrigue avance pépère. On en saisit sans mal la ligne générale, mais les détails se nimbent de flou plutôt que d’imprimer une féconde ambiguïté. Quand tombe, sur un mode grotesque qui n’arrange rien, la première révélation finale, on mesure à quel point, jusqu’alors, le film a échoué à diriger notre croyance et nos doutes.
La mise en scène révèle pourtant, à l’occasion, un certain sens du plan. Celui du générique, par exemple, plan d’ensemble sur un quartier industriel de bord de fleuve au petit matin qui, l’air de rien, attentif au frémissement du monde, installe une atmosphère dont on pressent l’imminente profanation. Ou celui, sobre et puissant, où le massif Aurélien Recoing bloque, à la manière d’un rugbyman, la trajectoire du père dévasté par la mort de sa fille. Ailleurs, Mancuso touche lorsqu’il saisit un personnage seul, observant son environnement ou aux prises avec ses états d’âme. C’est l’ami d’Émilie attendant cette dernière dans la forêt ; Laurent Lucas en garde à vue ou dans son box d’accusé, lançant d’inquiétants regards de biche effarouchée qui semble à tout moment pouvoir se muer en monstre ; et bien sûr, la plupart du temps, le personnage principal, de moins en moins fringant, de plus en plus seul, campé avec ferveur par un impeccable Jean Dujardin.
Tout se gâte quand le cadre doit gérer plusieurs personnages et qu’il faut envisager les champs-contrechamps, que la bande-son se pare de dialogues et que les hommes, dans ce film de mecs, de vrais (ah ! Jacques Frantz, son poids, sa voix légendaire!), se coltinent la présence, utile ou encombrante, des femmes… Mancuso se trouve débordé, tout devient maladroit. Alors, calendrier oblige, on se prend à rêver de ce qu’un William Friedkin en aussi grande forme que dans Bug aurait troussé en s’emparant d’un tel matériau… En l’état, Contre-Enquête reste un film honnête mais plombé, et bien trop sage au vu des pistes noires qu’il sème nonchalamment, sans se soucier de voir les graines pousser.