Agnes vit seule dans un motel miteux, fuyant un conjoint violent et le souvenir d’un enfant disparu. Peter, un vagabond excentrique, atterrit dans cet endroit isolé et entre dans la vie d’Agnes. Leur relation tourne au cauchemar lorsque le couple s’embarque dans les théories conspirationnistes de Peter, notamment celle évoquant la présence sur son corps de minuscules araignées… Ces élucubrations auraient-elles un fond de vérité ? Attachée à ses protagonistes, sans pour autant se départir d’un regard objectif, la mise en scène nous suggère elle-même la réponse assez vite, si bien que l’intérêt réside moins dans l’ambivalence de la situation que dans l’anxiété qui naît de l’enfermement de ce couple dans ce milieu étroit qui va peu à peu les séparer du monde réel. Le film devient tout à la fois un thriller, une étude comportementale et un voyage d’une rude réalité aux confins d’un irréel – ici cauchemardesque – aux règles floues. Terrain connu et maîtrisé par un cinéaste dont la plupart des films content de semblables parcours, de façon plus (L’Exorciste, Le Convoi de la peur, Cruising) ou moins explicites (French Connection, Police fédérale Los Angeles, Le Sang du châtiment).
« Violence physique et psychique »
De la pièce de théâtre d’origine, qui subsiste par le décor unique et la distribution réduite à cinq personnages, William Friedkin fait bel et bien une œuvre de cinéma. C’est sa mise en scène qui, bien mieux que le postulat paranoïaque du scénario, brouille la frontière entre réalité et fantasme, utilisant le décor, les accessoires et même les corps humains pour en faire des objets de malaise, quitte à mettre en question leur vraie nature (ce bruit lancinant vient-il du ventilateur ou d’un hélicoptère de l’armée ?). Surtout, le cinéaste se signale par un regard empreint à la fois d’une sensibilité aiguë vis-à-vis des personnages – qu’il ne déréalise jamais, même au plus fort de leur descente aux enfers – et d’une brutalité implacable dans sa manière de filmer la violence qu’ils infligent à leur corps et à leur esprit. Dès les prémices (présentation d’Agnes, personnage attachant mais dont la lucidité est mise en doute par le montage haché qui coupe sa scène d’inquiétantes ellipses), la mise en scène affirme la maîtrise de sa forme qu’elle met entièrement au service de l’expression d’un ressenti, empathique mais jamais borné, du sujet.
C’est cette volonté de montrer explicitement et efficacement la violence physique et psychique, sans s’y vautrer ni se réfugier dans une distance confortable, refusant la pose en démiurge et la manipulation, qui fait le prix de Bug, comme des meilleurs films de Friedkin dont on exagère souvent le côté sensationnaliste au détriment de leur véritable intérêt. Le cinéaste braque sur ses personnages au bord du gouffre et sur leurs actes un regard à la fois chaleureux et sans complaisance, rendant malaisé – sans prétendre l’interdire – tout jugement moral sur une dérive qui leur est imputable au moins autant qu’aux aléas de vies accidentées. À son crédit également, sa volonté de ne pas clore le film comme si un verdict avait été rendu, de le laisser se poursuivre dans l’imaginaire du spectateur. Un énigmatique dernier plan (une autre figure récurrente des films de Friedkin) sert autant à soulever des hypothèses inattendues qu’à donner, contre toute attente, un nouvel élan à l’histoire, une suite dont on ne peut pourtant que rêver.