Avec le boom de la littérature fantastique pour ados qui a suivi le succès des romans de J.K. Rowling, il n’est guère étonnant que Hollywood, encouragé de son côté par la réussite commerciale des adaptations de ces derniers, suive à la trace les maisons d’édition en quête de bénéfices faciles. S’offrant ainsi au même risque de dérivation affadissante que la veine littéraire d’origine : ainsi le cycle vampirique Twilight de Stephenie Meyer, autre carton de librairie, a‑t-il presque immédiatement suscité des nouvelles vocations d’auteurs de chroniques de héros pâlots aux dents longues. Dans ce créneau, le cycle romanesque Cirque du Freak de Darren Shan (dont cet Assistant du vampire constitue le premier volet de l’adaptation) s’avère une proposition assez foisonnante par l’hybridation de plusieurs traditions du fantastique. Reste la question, bien ancienne et plus que jamais d’actualité dans cette industrie, de la nécessité de l’adaptation littéraire : que peut apporter le savoir-faire hollywoodien dans sa transposition au cinéma d’une œuvre dont il ne vise, a priori, qu’à exploiter froidement le succès ?
Il est assez amusant de retrouver dans cette tendance du blockbuster fantastique deux frères, chacun de leur côté : Paul et Chris Weitz. Notable parcours que le leur : on les a rencontrés œuvrant de concert dans la comédie potache pour ados (American Pie) avant de se laisser aller à des genres plus mainstream, et on finit par les retrouver disséminés dans de grosses machines à illustrer des univers imaginaires. Tandis que Chris vient d’enchaîner La Boussole d’or et Twilight 2, Paul, resté un moment dans la comédie vaguement corrosive (American Dreamz), se jette à son tour dans le bain des écrans bleus et des billets verts. Cela dit, quand on regarde ce qu’offre cet Assistant du vampire, on se dit que le réalisateur de comédies sentimentales et/ou graveleuses n’a peut-être pas été intéressé au projet que par la perspective de jouer avec les effets spéciaux. C’est que L’Assistant du vampire raconte avant tout l’histoire d’une amitié virile contrariée entre deux ados mal assortis, Darren (le gentil mais un peu trop sage) et Steve (le turbulent qui va mal tourner), lesquels se retrouvent impliqués dans une guerre entre créatures fantastiques qui va les voir quitter la société des hommes et s’opposer férocement l’un à l’autre.
Ce qui se cache sous la pierre tombale
D’un côté, une espèce particulière de vampires sanguinaires (portant un nom qu’on a oublié) voués comme il se doit à la domination du monde. De l’autre, une sorte de foire aux monstres — se faisant appeler, précisément, le « Cirque du Freak », en français dans le texte — réunissant entre autres spécimens des vampires sympas (eh oui, ils ne tuent pas leurs victimes), des gnomes, une fillette à queue de singe, un homme-serpent et une femme à barbe (Salma Hayek, qui n’a décidément pas froid au menton), le tout dirigé par un cousin de deux mètres cinquante du Dr Fu-Manchu. Une population cosmopolite que, n’eût été tout cet anthropomorphisme, on pourrait librement appeler « bestiaire », pour un foisonnement qui, à l’écran, ne s’avère pas aussi passionnant qu’on pouvait l’espérer. La faute, essentiellement, au caractère d’épisode d’exposition obligée que le film assume avec une application de fonctionnaire. Les apparitions des vampires, mutants et autres araignées prennent l’allure d’une cérémonie de présentation un peu longuette — beaucoup de participants — où chacun, scène après scène, exhibe ses particularismes, expliquant au passage une partie des enjeux qui ne commenceront à se concrétiser que vers la fin pour préparer l’épisode suivant. La vocation des monstres de ce « Cirque » est avant tout de paraître et d’avoir l’air cool. Ce sont les vampires qui ont la part belle, issus d’une tradition bien établie mais à qui il est permis de faire valoir sur un ton aristocratique en quoi ils s’écartent de la mythologie/norme (non, on ne mord pas le cou de nos victimes, on se marre bien des crucifix et des gousses d’ail, etc.), et dont la plus flagrante marque de classe et source de fierté est leur pouvoir de se déplacer à la vitesse de l’éclair. Les scènes de « zvittage » (l’acte de foncer comme une fusée en laissant en travers des plans successifs de jolies traînées colorées) sont d’ailleurs les seules où la réalisation très impersonnelle et fonctionnelle paraît s’animer un peu, et encore : même les combats à base de téléportation dans Twilight 2 (dont les effets visuels étaient eux-mêmes copiés sur l’ouverture de X‑Men 2) démontraient une plus grande implication dans le travail de la forme, c’est dire.
En vérité, le fantastique déployé dans ce film, appliqué, argumenté et encadré comme il est par la dramaturgie hollywoodienne, s’avère moins intéressant que ce qui ressort des éléments les plus terre à terre, en l’occurrence les deux créatures mortelles embarquées dans ces aventures. De ces ados si mal assortis qu’ils sont, au début du film, obligés de cacher leur relation et à devenir des « secret best friends », pointe très vite et de manière étonnamment claire (peut-être des restes de l’approche triviale du sexe par Weitz dans American Pie) le soupçon d’homosexualité sous-jacente que chacun refuse à sa façon. Darren nie innocemment l’hypothèse d’une telle relation, tandis que Steve la voit venir comme une menace et la réprime avec violence, entraînant leur séparation, leur renoncement à leurs vies de mortels (l’un pour sauver courageusement l’autre), enfin leur affrontement en embrassant chacun une cause dont dépend un peu le sort du monde. Ainsi, la conventionnelle lutte entre le Bien et le Mal, ramenée comme dans un gag potache à de vulgaires griefs personnels d’adolescents aux origines inavouées, prend une saveur assez inattendue par ses sous-entendus et porteuse de quelques sympathiques promesses pour l’avenir, pourvu que cette piste continue de nourrir le film en profondeur, et notamment que la mise en scène s’en empare enfin. Parce que pour l’heure, le scénario propose, et la réalisation dispose plutôt sagement. Ce n’est pas méprisable, mais il y a du boulot.