Lazare, la maison du second souffle est un documentaire réalisé par Véronique Bréchot, produit par Aloest Productions et le CFRT, co-produit par KTO et Télénantes, consacré à l’association du même nom. Sa caméra a suivi la vie quotidienne d’une maison Lazare à Nantes et de ses habitants, au cours de plusieurs mois. La spécificité de cette maison : c’est une « colocation solidaire ».
Lazare, « Dieu a aidé » en hébreu, fait référence à deux personnages bibliques du Nouveau Testament : Lazare de Béthanie, frère de Marthe et de Marie, qui meurt et que le Christ ressuscite (Jean, 11). À ce titre, le cinéma d’anticipation et d’épouvante a bien trouvé dans cette figure de résurrection une matière propice à scénario, comme récemment David Gelb avec Lazarus Effect (2015). Mais Lazare, c’est aussi la figure emblématique du pauvre, à l’image de Job dans L’Ancien Testament, figure en miroir anticipatrice du Christ, présenté dans le cadre d’une parabole avec le mauvais riche Dives (Luc, 16), et que le Christ sauve : « Tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation… ».
Dans les deux cas cependant, Lazare représente la figure d’un sauvé, d’une personne envers laquelle Dieu est venu, littéralement, en aide et qu’il a fait renaître en lui apportant sa consolation.
Depuis l’année 2006, l’association qui porte ce nom a pour vocation d’aider toute personne en situation de pauvreté, aussi bien matérielle, que professionnelle et sociale, en proposant avant tout un logement et encore un lieu de vie collectif à des personnes de la rue. C’est l’audacieuse et originale idée de ces « colocations solidaires » que de faire vivre un an ou plus, des personnes de la rue, accueillies, et des jeunes professionnels volontaires dans une même maison ou appartement, chacun contribuant à sa bonne marche.
C’est à l’origine une initiative privée des fondateurs, Martin Choutet et Étienne Villemain, qui ne tolèrent plus de voir deux personnes sans domicile fixe dormir dans la rue en bas de leur immeuble à Paris, et qui les invitent à s’installer chez eux. Ce sera les prémisses de Lazare qui compte aujourd’hui 6 lieux en France (Lyon, Marseille, Nantes, Angers, Lille, Toulouse) et dont le développement continue.
Ce documentaire montre ainsi la vie quotidienne d’une colocation : et, à la manière des sœurs de Lazare de Béthanie, Marthe, figure du service, et Marie, figure de l’écoute et de l’amour (Luc, 10), le quotidien est réglé par le service (chacun est assigné à un service dans la maison et à un partage mensuel des tâches – cuisine, ménage, courrier,…), et aussi par l’expérience de la fraternité au cœur de la vie collective.
Le film recueille différents témoignages de vie et d’amitié : il est par exemple tentant de voir chez un accueilli qui lit Murphy de Samuel Beckett – un joueur d’échecs qui en bouscule les règles du jeu –, alors qu’il décide de se faire hospitaliser pour soigner sa toxicomanie, l’image de l’audacieuse initiative que constitue « Lazare » comme façon de bousculer des attendus ou des conventions : quand le propos de Samuel Beckett était de traiter la misère et la solitude par l’absurde, le projet de Lazare est de s’attacher à restaurer des liens sociaux.
Cette entreprise émanant de l’association Lazare est de faire de la maison un « foyer » au sens fort : un lieu sécurisé mais surtout un lieu de vie où les besoins élémentaires (se nourrir, dormir) autorisent une vie simple et un lieu de partage où on donne de son temps pour les autres, expression d’une forme d’amour envers eux. Lazare, comme le disent les figures à l’écran, c’est bien une « deuxième famille », et des couples avec enfants sont par ailleurs responsables des maisons.
Ce foyer n’est pas une utopie, le quotidien reste difficile, et les progrès accomplis, mineurs, avec des déceptions et des échecs (des personnes retournent à la rue), mais s’y exprime une certaine idée du lien social et familial avec un sens élevé de la notion de « communauté ». Donner un toit oui, mais aussi développer des relations sociales constitue les prémisses d’une reconstruction personnelle : se reconstruire en créant des liens d’amitié, en se sachant aimé, c’est ce qu’ont cherché à mettre en place, dans une démarche chrétienne, les fondateurs de Lazare. Il faut à ce titre rappeler que, depuis Léon XIII et la doctrine sociale, l’Église est un acteur majeur dans la lutte contre la pauvreté.
Récemment, Miguel Gomes dans Les Mille et Une Nuits traitait du mal économique et social au Portugal, en particulier dans L’Inquiet (vol. 1) avec l’épisode des « Magnifiques » recueillant les témoignages de personnes au chômage et en voie de paupérisation, mais encore d’un mal affectif, notamment dans L’Enchanté (vol. 2) avec l’épisode des « Maîtres de Dixie ». C’est ce petit chien qui contribue à une forme de retour du lien social, de la fraternité dans une même communauté, ce petit chien dont il est dit qu’il est une « machine à aimer ». Le cinéma de Miguel Gomes s’attache à être cette machine à aimer, filmant une communauté humaine fraternelle, comme avec cette chaîne humaine, ruban défilant sur la plage et se tenant par la main à la fin des « Magnifiques ». N’est-il d’ailleurs pas énoncé plus tôt par la narratrice, lorsqu’est cadré un appareil photo, que sont projetées dans l’espace des ombres puissantes, pleines d’amour, possible définition même de son cinéma ?
Le cinéma, le médium audiovisuel, comme ici s’en fait le relais la caméra parfois maladroite de Véronique Bréchot (des zooms abrupts notamment), est bien à prendre au sérieux pour cette mission humaniste, projetant des ombres puissantes, pleines d’amour : que ce soit dans un exercice documentaire sobre et aride dans sa confrontation à une difficile réalité, se faisant le témoin d’actions concrètes comme Lazare, la maison du second souffle ; ou dans une œuvre d’art hybride comme Les Mille et Une Nuits, entre documentaire et fiction, ayant une haute conscience de ses moyens, de ce que peut le cinéma, comme de sa finalité démocratique. Reste qu’ici, ceux qui sont filmés sont, effectivement, des Magnifiques.