Souvenez-vous, c’était il y a deux ans, c’était la mode du péplum hellénique, juste avant la sortie d’Alexandre, c’était Troie – la guerre de Troie par Wolfgang Petersen. À la fin, Briséis assassinait Agamemnon, l’abominable homme du siège. Un meurtre resté sur le cœur de nos amis les hellénistes puisque dudit meurtre il n’a jamais été question dans l’Iliade. Hollywood avait frappé, Homère s’inclinait. Cette semaine, Petersen propose Poséidon, son tout nouveau film, et ce n’est malheureusement pas la suite de Troie, comme on aurait pu s’y attendre. Nous n’aurons pas droit à « Ulysse le retour » ou même « Ulysse vs Poséidon », mais au remake d’un film catastrophe de 1972, L’Aventure du Poséidon. L’intrigue est simple – des survivants tentent de se sauver d’un navire en train de couler. Un peu bateau… mais le récit est bien mené, y compris visuellement.
L’avantage du film de Petersen, c’est qu’on est plongé très vite au cœur du sujet. Quelques portraits par-ci par-là des futurs rescapés ponctuent le début du film, puis, très vite, c’est la catastrophe. Poseidon s’organise alors autour d’une notion centrale, celle de crise, avec une question à la clé : quel est le meilleur comportement à avoir lorsque sa survie et celle des siens est en jeu ? La réponse est triple : savoir prendre des risques, se débarrasser de celui qui risque de vous entraîner dans sa chute, se sacrifier pour les jeunes générations. C’est donc très américain, et cela l’est d’autant plus que ceux des protagonistes qui vont trinquer le plus sont les représentants des minorités – en particulier les Latinos !
Au fond peu importent les protagonistes. Les deux personnages principaux du film, ceux qui en tout cas sont filmés comme tels, sont l’eau et le navire. Ils ne font plus qu’un, conjuguent leur puissance pour former un gigantesque piège, et portent en fin de compte le même nom : Poséidon, océan furieux autant que paquebot naufragé. La tension du film repose sur l’impact de la catastrophe initiale, et sa progression s’appuie sur une succession d’épreuves par lesquelles les protagonistes vont peu à peu s’extirper de l’épave : la notion de crise s’incarne dans celle de piège. Les héros vont donc mettre en commun leurs ressources et compétences respectives : dans le film catastrophe, chaque personnage qui survit est un personnage utile. Sans lui et lui seul, le groupe des rescapés est voué à la mort. Il y a quelques années, le film Cube avait mis à nu ce fonctionnement – Petersen semble d’ailleurs y faire référence dans une scène où les héros doivent, comme dans Cube, passer de caissons en caissons pour survivre.
Poseidon assume totalement le fait d’être un film de genre, et c’est un bon point : Petersen met ainsi à profit tous les outils de mise en scène du film catastrophe. Par exemple, mouvements de caméra et premiers plans flous rappellent au spectateur l’omniprésence, dans tout le navire, des cadavres de passagers ; certains plans chocs montrent des morts en direct, sous les formes les plus spectaculaires : un corps tombe du haut d’un ascenseur dont les cloisons de verre se brisent, un autre se noie en gros plan – jusqu’à son ultime convulsion. Et cette façon de traiter la tension par l’horreur confine presque au sadisme. Par ailleurs, l’usage du montage alterné opposant l’inéluctable montée de l’eau aux efforts désespérés des héros coincés dans le bateau est essentiel, et révèle ses potentialités dans une scène haletante du film située dans un conduit d’aération.
Il y a beaucoup de choses rebattues et attendues dans Poseidon, notamment les personnages, convenus, voire fades, et l’évolution finale du récit, cousue de fil blanc. Mais c’est après tout un film de studio, une superproduction réalisée sous la houlette de Warner Bros : on ira donc voir le film en connaissance de cause. Surtout, on mettra l’accent sur trois scènes du film qui valent tout de même le détour. Le premier plan, tout en image de synthèse, est un plan-séquence d’un peu plus de deux minutes qui fait un tour complet du paquebot pour se rapprocher d’un personnage en train de grimper sur le pont supérieur. On frise la pub pour une croisière transatlantique : visuellement bluffante, cette vision du bâtiment triomphant va accentuer le contraste avec, par la suite, les huis-clos glauques et anxiogènes du navire retourné. Il y a aussi et surtout la scène de l’arrivée de la vague scélérate, filmée d’abord en contre-plongée depuis le point de vue d’un des protagonistes, puis en plan large, lorsque, telle une hydre, elle s’empare du bateau pour le disloquer. Quand on s’intéresse un peu aux vagues scélérates, ces vagues monstrueuses surgissant de nulle part au milieu de l’océan et engloutissant tout sur leur passage, on est redevable à Petersen et à son équipe technique des efforts qu’ils ont consentis pour donner à ce phénomène sa pleine dimension, presque surnaturelle. Les images de synthèse de la vague faisant irruption sur l’horizon, puis s’enroulant autour du vaisseau avant de le briser sont criantes de réalisme. Le paquebot Queen Mary II avait d’ailleurs traversé une telle épreuve il y a onze ans et failli connaître un destin similaire à celui du Poséidon.
En 1972, L’Aventure du Poséidon se terminait sur l’ouverture d’une trappe par les secours, après échange de coups sur la coque entre l’intérieur et l’extérieur. Poseidon fait une allusion ironique à cette fin, mais en propose une autre, très réussie, à la fois sobre et plastique : en plan large et en plongée, le bateau s’enfonce. Une fusée de détresse illumine le ciel, son faisceau lumineux devient celui des projecteurs des hélicoptères de secours qui, grâce à un travelling arrière, rentrent un à un dans le champ. Pas d’épilogue superflu : Petersen s’en tient à son sujet, et on lui en sait gré. On se laisse malgré soi prendre par ce film qui, en dépit de ses défauts de blockbuster – prévisible, consensuel –, est en définitive plutôt sincère.