La pittoresque petite ville de Taiji, sur la côte japonaise, est régulièrement le théâtre d’un massacre de dauphins à grande échelle. Le réalisateur Louie Psihoyos a monté une troupe de choc pour documenter de façon crédible ce bain de sang – le tout, à la sauce Besson, hélas.
Notre époque est consciente, du moins voudrait-on le croire. L’environnement s’impose, avec au moins un bon siècle de retard, comme une préoccupation citoyenne majeure. Préoccupation citoyenne, par opposition à préoccupation politique – une opposition qui n’est aujourd’hui qu’apparemment contradictoire. En bon héraut de l’inquiétude populaire, le cinéma s’empare du sujet, et manie la rhétorique pour cristalliser l’indignation… le temps d’une séance. Le Cauchemar de Darwin provoque la polémique, se révèle faux et manipulateur, puis confirme le bien-fondé de ses informations. Vrai ou faux ? On ne sait plus guère… Yann Arthus-Bertrand assène que la Terre est belle, surtout vue du ciel, et que l’homme lui est un furoncle ; Nicolas Hulot, que nous allons droit dans l’iceberg et qu’il sera bientôt trop tard pour lancer un S.O.S… Et le spectateur, légitimement épouvanté, rentre chez lui plein d’une vertueuse indignation, achète le lendemain le bouquin du croisé écolo du moment, ne laisse plus couler l’eau pendant qu’il se lave les dents… et oublie finalement.
Pour Louie Psihoyos et Richard O’Barry (ex-dompteur de dauphins (sur Flipper, notamment) et activiste de la libération des dauphins), le message est autre. Le premier est informé par le second d’une situation épouvantable dans la baie de Taiji, Japon, où seraient massacré des dauphins en nombre (23000 par an selon les chiffres d’O’Barry). Et la réaction, pour eux, tient autant de la dénonciation que de l’action à proprement parler. Ric O’Barry a d’ailleurs été arrêté à de nombreuses reprises pour avoir libéré par la force des dauphins capturés par des particuliers ou des delphinariums. Un appel à l’activisme – voilà qui est passablement inédit. Mais où donc le bât blesse t‑il ?
Rappelons les faits. Le Japon est le principal pratiquant de la pêche aux cétacés, grands (les baleines) et petits (les dauphins, notamment). Depuis l’interdiction de la pêche industrielle à la baleine, le pays fait, d’une part, du lobbying actif pour la reprise de cette pêche, et d’autre part, ferait également officieusement la promotion de la pêche au dauphin, qui selon O’Barry passerait aisément pour de la viande de baleine, et serait vendue comme telle. Taiji est une ville se situant sur les routes migratoires des dauphins, qui a perfectionné ses méthodes de pêche aux dauphins. Les plus chanceux sont vendus aux delphinariums, les autres seraient, selon les informations de Ric O’Barry, massacrés de façon barbare dans une baie mitoyenne secrète. C’est cette pratique que va tenter de saisir Psihoyos en vidéo.
Il y a peu de chances que la surprise soit au rendez-vous pour les spectateurs de The Cove. Le Japon est une nation baleinière – quiconque a déjà parcouru Moby Dick sait pertinemment que, comme toutes les pêches, ce n’est pas une démonstration évidente d’amour des animaux. La production de viandes et de poissons est souvent excédentaires, avec un fort gâchis, et la source de comportements d’une immonde barbarie envers les animaux. Ce ne sera une surprise pour personne, et la pêche au dauphin, inutile et barbare, ne fait pas exception. Centrer un film sur ce qui semble finalement être un secret de Polichinelle nécessiterait donc une stylistique réfléchie – hélas, Psihoyos choisit une recette « à la Besson », sensationnaliste, tape-à-l’œil et profondément subjective.
Comme le souligne le représentant du Japon auprès de la Commission Baleinière Internationale (ce monsieur étant le grand vilain du film), lorsqu’on parle dauphin, la raison laisse souvent place à l’affect. Ici, cette option est érigée en loi narrative. C’est l’image de Flipper qu’on emprisonne, qu’on massacre. Un montage ronflant et une musique hautement pathétique complètent le tableau. Il y avait pourtant mieux à faire avec le récit de cette expédition quasi-militaire qu’il a fallu mener pour obtenir des images de « la baie », bien mieux que tout miser sur l’émotion. S’intéresser à cette étrange communauté de pêcheurs, passablement reclus et hostiles, presque fanatiques, par exemple – mais non. Prenant le contre-pied de Franju dans le terrifiant Sang des bêtes, The Cove mise tout sur le pathos, l’écœurement, et rien sur l’« émotion esthétique » chère au réalisateur des Yeux sans visage. Les dernières images du film invitent à agir, en se rendant sur les sites internet soutenus par le film. Cela demeure le seul moment réellement légitime de The Cove, une minute utile après une heure et trente-deux minutes aussi vaines qu’un album de Yann Arthus-Bertrand acheté pour se donner bonne conscience, et laissé à prendre la poussière sur une étagère.
Les sites (anglophones) promus par le film sont les suivants :
http://www.opsociety.org/about-ops.htm
http://savejapandolphins.com/
http://www.takepart.com/thecove/