Les douleurs et espoirs, aspirations et difficultés africaines, oui ça va, on sait, on est au courant. Mais pourquoi ne pas les chanter ? Une belle idée émane d’Un transport en commun, celle de l’appropriation d’un imaginaire, étape salutaire vers l’émancipation.
Faire émerger musique et chant dans l’espace de la fiction, les films de Christophe Honoré viennent immédiatement à l’esprit, puis d’autres, moins emblématiques et connus, comme Nice de Maud Alpi, Grand Prix du festival Côté court en 2009. Sans convaincre tout à fait, ce dernier intégrait ces éléments à une chronique sociale réaliste, dans laquelle le non-dit était chanté. C’est précisément dans le réel que débute Un transport en commun ; quelques plans, captivants, que l’on considèrera comme documentaires dévoilent la gare routière de Dakar. Sauf que l’espace filmique va très vite devenir une scène de jeu, autour de laquelle on sentira, délicatement en tension, très souvent le souffle du réel. Mais il faut écarter la comparaison avec les exemples ci-dessus ; on est ici en présence d’une franche comédie musicale, de tableaux chantés et chorégraphiés. Pas d’essaimage, loin de là, d’un Christophe Honoré, mais difficile de ne pas céder au fait de mentionner Jacques Demy, notamment dans cette manière de (se) jouer du réel, ainsi que le talent de coloriste.
Pour filer la métaphore musicale, Un transport en commun est un film choral abritant une multitude de personnages dont le point de ralliement est d’accomplir le trajet de Dakar à Saint-Louis. La narration par le chant et la danse permet, malgré le format moyen du film (48 minutes), de faire exister avec une belle efficacité des protagonistes qui ainsi se racontent par les mots, mais aussi les corps ; on est très loin de la comédie musicale-gadget pour faire chouette et original. Chacun des personnages est situé à un palier, petit ou grand, de son existence, parfois avec le recoupement de trajectoires inversées, où la pesanteur centripète – qu’il est difficile de « décoller » de la capitale (attente du 7e passager pour remplir le taxi brousse, embouteillages…) ! – côtoie la tentation centrifuge, celle du départ. Madame Barry, superbe femme mûre dodue en boubou, retourne voir ses enfants qu’elle avait délaissés pour s’accomplir professionnellement à Dakar, tandis que Souki est en route pour l’enterrement d’un père qu’elle n’a pas connu. Alors qu’Antoine, le toubab de la troupe, est venu chercher quelque chose au Sénégal, il ne sait pas encore très bien quoi, Malick s’apprête à partir pour l’Italie : « Ce n’est qu’un arrivederci » entonne-t-il, « je la connais ta chanson » lui rétorque sa voisine. Et, dans le même morceau, pointe un réel inquiet et tragique : « L’Atlantique ne cesse de nous avaler. »
L’ensemble est baigné par une musique allant de notes authentiquement africaines (le Sabakh, genre traditionnel sénégalais fait de percussions) aux accents soul, funk, blues et jazz, tout en passant par les très belles lignes d’une formation de cordes. Le flux est ainsi basé sur le métissage – y compris du wolof et du français, autre belle musique que celle des langues – et la rencontre. Cette dernière donnée constitue l’axe d’Un transport en commun ; rencontre entre des personnages, des générations, des destins, et bien sûr entre la réalité sénégalaise et l’expression d’un imaginaire, que la réalisatrice désigne comme des « élans musicaux et chorégraphiques ». Ces derniers sont pris en charge par une mise en scène vive et pleine de respiration, qui fait intervenir notamment l’usage dynamique des mouvements ascendants de la grue ; les belles trouvailles du montage imposent à l’ensemble une fluidité certaine dans la circulation entre les personnages, leurs liens, mais aussi les passés et devenir potentiels.
Un transport en commun est également une prise de parole dotée d’une certaine force, à propos de laquelle on pourrait parler de revendication. Le cinéma semble condamner les terres de douleur à un geste documentaire, au moins réaliste et naturaliste. En intégrant l’imaginaire, l’artifice et la fantaisie, Dyana Gaye ne refuse pas la réalité, elle la fixe au contraire dans le blanc des yeux, avec beaucoup d’acuité, pour nous parler d’émancipation.
P. S. : le court métrage Deweneti, de la même réalisatrice, complète la programmation. Nous n’avons pas été en mesure de le visionner.