Qu’on se le dise : 2009 sera marqué par le grand retour au cinéma de Clémentine Célarié, six ans après sa prestation dans le mauvais Mauvais esprit de Patrick Alessandrin, qui avait précédé sa disparition du grand écran au profit du petit où elle avait trouvé une place bien plus à sa portée. Pas moins de trois films avec elle sont annoncés cette année, et au vu des deux déjà sortis (le finement intitulé La différence, c’est que c’est pas pareil, puis ce Victor), on peut déjà se préparer à trembler à ses prochaines apparitions sur une affiche. Un autre nom qui fait peur au générique de Victor et pour qui 2009 a dû être réconfortant, c’est celui de la scénariste Lisa Azuelos, proche de l’Alessandrin susmentionné et qui a fait carton plein dans les salles françaises voilà quelques mois avec son sinistre LOL. C’est dire — ou redire — à quel point le monde de la comédie de mœurs franchouillarde est petit, renfermé sur lui-même, mais que cela ne l’empêche pas de prendre beaucoup (trop) de place.
Le sujet du jour ? Adapté d’un roman d’une rédactrice de Elle : une famille bourgeoise empêtrée dans les complications financières et conjugales se voit proposer par un magazine people sans scrupules d’adopter un vieillard de 85 ans menacé d’expulsion, et d’être rémunérée pour ce beau geste. Tandis que la publication fait ses choux gras de la nouvelle vie du papy et que le rédac’ chef, tant qu’à faire, drague effrontément la bourgeoise, ledit adopté, Victor, s’incruste dans la vie trop bien rangée de ses tuteurs et y sème le trouble en jouant son Boudu sauvé des eaux. Velléités de satire sociale ? Ben voyons. La recette est immuable dans ce genre-là : s’emparer de sujets dits « de société » au travers du prisme démagogique des publications sur papier glacé (masculin, féminin, psychologique, etc.) et des émissions télé, et les recycler en ne les traitant jamais, en s’en servant simplement pour huiler la mécanique comique décatie où seules comptent l’éclat des bons mots de dialoguistes et la complaisance avec les stéréotypes.
Parler de mise en scène est ici indécent, la fonction de la caméra de Thomas Gilou étant strictement réduite à retranscrire servilement les vannes à trois francs qui font toutes les conversations et les mimiques lamentables des acteurs. Quant à ce que tout cela raconte, le fond de l’affaire, derrière la prétendue modernité des prémisses, reste atrocement familier. Peu importe que les patrons de presse people soient réellement ou non des salauds lubriques, ou que notre époque soit ou non à l’hypocrisie médiatique : les auteurs de Victor, eux, en sont de toutes façons fort aise, vu comment ils en rajoutent des louches sur le sujet, non pour l’appuyer, mais pour s’assurer que les frasques d’un Lambert Wilson particulièrement mauvais amusent la galerie. D’ailleurs, tout ce qui pourrait approcher d’un aperçu de la société actuelle (fonctionnement d’une rédaction, transactions avec un banquier) reste tout à fait inconsistant, comme si Gilou et ses scénaristes vivaient véritablement hors de cette société. Là où le film préfère se répandre largement, c’est la mécanique de vaudeville moisi qui régit la vie intime de ses personnages, reproduisant une vision du rapport homme/femme à l’odeur de camembert, vieille comme une libération sexuelle qui, de toute évidence, ne passe pas chez certain(e)s. Où les femmes sont réparties entre cruches inconsistantes (y a‑t-il quelqu’un pour sauver la carrière de Sara Forestier ?) et castratrices coincées rechignant à reconnaître à quel point elles ont besoin de leurs hommes — lesquels ont bien quelques vices, mais mènent avant tout une lutte sympathique pour supporter le sexe opposé. Victor a beau convoquer l’inspiration de détails croustillants de son époque censée être la nôtre, le spectacle où il se complaît et autour duquel il compte fédérer le public relève définitivement d’une vieille France moisie, déconnectée du réel et qui ne mérite, depuis longtemps, que de disparaître.
Comique croupi
Cela fait belle lurette qu’il faudrait se poser de sérieuses questions sur l’humour français au cinéma — ou plus précisément sur le fond de commerce rance avec lequel certains cherchent (parfois avec un succès qui en dit trop long sur les inclinaisons de chacun) à faire rire les foules dans les salles de ce pays. Comment un Bienvenue chez les Ch’tis, aux gags dignes d’un épisode de Joséphine ange gardien et cultivant les clichés régionaux les plus navrants, a‑t-il pu ramasser vingt millions d’entrées ? Comment des organes de presse peuvent-ils promouvoir en « réjouissante comédie trans-générationnelle » un film d’ados faux-cul, méprisant et méprisable comme LOL ? Comment des producteurs osent-ils encore, avec le soutien des financiers institutionnels — CNC, chaînes de télé concernées avant tout par leurs prochains prime times — tabler sur le succès de masse des produits téléfilmiques rétrogrades et puants qui constituent désormais le gros de la comédie grand public française ? Victor, de Thomas Gilou (qui semble bien avoir renoncé à faire son intéressant dans le genre de la comédie ethnique qui a fait son CV : Raï, La Vérité si je mens !…), n’éclaircit en rien cette question : il ne fait qu’alimenter, lui aussi, le tas de fumier du genre qui empeste sur des kilomètres.
Un dernier mot sur l’affliction de voir l’appréciable Pierre Richard, jadis Chèvre idéale et présence comique des années 1970, ne retrouver de tête d’affiche que celle de pareil abysse. Pourtant, son rôle de victime pas si victime que ça du temps qui passe et de l’ère du tout-médiatique, entre bonne humeur de vieux galopin et cynisme de roublard, était prometteur, et il s’y coule avec un certain entrain, sans doute heureux de jouer à contre-courant de son ancienne image de maladroit sympathique. Problème : il ne semble pas vraiment à sa place dans ce dispositif sinistre, dans ces situations où on ne le laisse jouer qu’un ingrédient de comédie de boulevard comme un autre, jusqu’à cette conclusion qui achève d’évacuer complètement le semblant de subversion qu’il pouvait apporter. Le voir célébrer au champagne la complaisance avec l’ordre bourgeois qu’il a fait mine de bousculer, ne fait qu’ajouter la tristesse à la consternation.