Au panthéon des héros de l’Ouest, où trônent des figures comme Jesse James, Buffalo Bill et Wyatt Earp, Billy The Kid règne en maître. Le cinéma américain, de l’époque du muet aux westerns crépusculaires de Sam Peckinpah, a longtemps fantasmé la légende du jeune hors-la-loi qui mourut en 1880, à l’âge de 21 ans, abattu par son ami, le shérif Pat Garrett. Pour son premier long métrage, qu’elle qualifie elle-même de mélange entre fiction et documentaire (nous penchons personnellement vers la seconde option), Anne Feinsilber revient sur la légende en menant l’enquête : est-ce bien le fameux Billy The Kid qui est enterré à Lincoln, au Nouveau-Mexique ? Pleine de ressources et de bonnes idées, la réalisatrice signe un film intéressant, mais si poseur qu’il en devient à la longue singulièrement soporifique.
Billy The Kid a‑t-il une vie après Arthur Penn et Sam Peckinpah ? À l’évidence, oui pour la jeune réalisatrice Anne Feinsilber, qui, passant outre un statut de femme qui ne rend sans doute pas les choses faciles lorsque l’on s’intéresse à un univers typiquement masculin, a décidé de prendre le problème à bras le corps. Refusant l’idée que tout puisse avoir été dit sur le plus jeune héros de toute l’histoire de l’Ouest américain, la cinéaste l’aborde de tous les côtés : retour sur la vie du hors la loi avec photos en noir et blanc à l’appui, visite des lieux du crime, voix-off créant un dialogue imaginaire entre une jeune femme (elle-même) et Billy. Et surtout, puisque c’est le fil directeur du récit, enquête sur la possibilité qu’un faux Billy soit dans la tombe du véritable Billy, qui lui, aurait pris la poudre d’escampette et tenté de vieillir tranquillement dans l’anonymat le plus complet…
Résumé ainsi, le film paraît extrêmement fouillis, si ce n’est fouillé, et le résultat est encore pire à l’écran. Impossible de suivre plus d’une vingtaine de minutes sans finir dans la confusion la plus totale. Et pourtant, le propos est loin d’être idiot : la comparaison entre Rimbaud et Billy The Kid, notamment, avec, en prime, récitation de quelques poèmes du jeune voyou français, aurait mérité à elle seule d’être le sujet principal du documentaire. La vision de l’Ouest américain aujourd’hui, avec ses cow-boys vieillissants rien moins que sexys, qui vivent dans une nostalgie ridicule de l’Amérique d’antan, fait froid dans le dos, notamment lorsque ces messieurs nous expliquent leur relation (presque sexuelle) à leur Colt. Les paysages du Nouveau-Mexique, lieu des hauts faits de Billy, sont hypnotisants, et justifient totalement que le documentaire soit projeté sur grand écran, mais à quoi bon les contempler pendant d’aussi interminables minutes ? Quant à la voix française d’Arthur H, qui récite son texte comme s’il méditait sur un verset de la Bible, elle finit d’achever le spectateur le plus conciliant (on ne saurait que trop conseiller la version originale par Kris Kristofferson, interprète de Billy The Kid dans le film de Peckinpah).
Ce semi-échec est d’autant plus regrettable que l’on ne souhaite que du bien à la réalisatrice, visiblement passionnée (trop?) par son sujet et avide de faire partager cette passion. Raccourci d’une bonne vingtaine de minutes, clarifié dans son intention, le documentaire pourrait être une véritable référence dans son genre. Les bonnes idées fourmillent, le talent est là, tout autant que l’envie de retrouver cette atmosphère si émoustillante de l’Ouest américain, qui posait avec ardeur l’ambiguïté du Bien et du Mal en faisant des hors-la-loi des héros éternels.
Finalement, le véritable problème du documentaire est sans doute qu’il s’autodétruit en posant dès le départ la vacuité de sa problématique : qui s’intéresse aux errements d’un shérif piteux du Nouveau-Mexique, que l’on a empêché de déterrer le corps de Billy The Kid pour tester son ADN ? Qu’importe ce qu’est devenu l’Ouest américain aujourd’hui ! Qu’importe si Billy The Kid est bien mort à 21 ans ou si c’est un autre homme qui gît dans sa tombe : il aura à jamais pour nous les traits et l’héroïsme séduisants de Paul Newman ou de Kris Kristofferson. « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende. » C’est John Ford qui l’affirme, et, honnêtement, qui oserait le contredire ?