Il y a quelques semaines, Volt, star malgré lui avait constitué une bonne surprise… pour un Disney. Très certainement due à la récente reprise en main du département animation du studio par John Lasseter, cofondateur de Pixar et réalisateur des Toy Story, la réussite de ce film à la fois inventif et sans prétentions avait redonné un peu d’espoir dans la capacité de la firme à proposer des films certes bien pensants, mais au moins regardables. C’était oublier qu’elle faisait aussi tourner de vrais acteurs. Pire : de vrais chiens.
Pourrie-gâtée par sa riche maîtresse, patronne d’une firme de cosmétiques de luxe, la chienne Chloe est un jour kidnappée par de méchants voyous mexicains. Grâce au sympathique berger allemand Delgado, elle parvient à s’enfuir et entame un long voyage pour retrouver sa villa avec piscine.
L’année 2009 est décidément placée sous le signe du chien. Après Palace pour chiens et Marley et moi, voici que nous est infligée une nouvelle variation, qui a fait un petit carton outre-Atlantique. La chanson d’ouverture met rapidement la puce à l’oreille : un film qui démarre sur du Gwen Stefani a peu de chances d’être longtemps supportable. Effectivement, Le Chihuahua de Beverly Hills baigne dans une vulgarité et une laideur visuelle exceptionnellement agressives, qui n’étonneront que ceux qui n’ont jamais eu à subir les adaptations de Scooby-Doo par le même réalisateur. En plus d’une préoccupante cynophilie, les films de Raja Gosnell souffrent en effet d’un certain nombre de défauts dont on ne citera que les plus rédhibitoires : le jeu des jeunes acteurs, aussi lisse que leur plastique, les scénarios atterrants, l’humour à base de jeu de mots piteux, et, surtout, la mocheté des effets spéciaux. Ici, c’est au prix de retouches numériques voyantes que l’on veut donner l’illusion que les chiens parlent ; quant aux personnages entièrement en image de synthèse (le rat et l’iguane), ils sont hideux.
Il est triste de constater que des acteurs autrefois excellents se fourvoient aujourd’hui dans de tels désastres artistiques. Andy Garcia et Drew Barrymore ne prêtent que leur voix, et s’en sortent donc mieux que Jamie Lee Curtis, qui fait vraiment peine à voir en riche mémère folle de son chien. Mais tout cela ne serait rien si le film n’était en plus épouvantablement cynique. On connaît l’indémodable cahier des charges des productions Disney : valeurs positives, morale familiale, éloge de la tolérance et de l’amitié qui permet de franchir tous les obstacles. Le Chihuahua de Beverly Hills n’y déroge pas. Mais ses auteurs et producteurs ont dû réaliser que le scénario se prêtait à une gentille satire sociale : plongée dans l’enfer mexicain et ne devant son salut qu’à une bande de chiens errants, Chloe (et avec elle les jeunes spectateurs du film), ne risquait-elle pas d’ouvrir les yeux sur la misère du monde et sur le sort de chiens moins bien nés qu’elle ?
Tout ce qui pouvait empêcher que le temps de cerveau disponible des enfants, ici vendu à quelques marques de luxe complaisamment citées (Chanel, Louis Vuitton…), soit parasité par un début de réflexion a donc été soigneusement gommé. Ainsi, le Mexique est essentiellement présenté comme un paradis ensoleillé pour surfeurs et jeunes touristes américaines hystériques. Peuplé de sympathiques commerçants tout à fait pittoresques et de policiers compétents et compréhensifs qui savent se mettre en quatre pour retrouver le chien d’une riche Américaine, le pays n’a à souffrir que des méfaits d’un truand heureusement plus bête que méchant, bien sûr affublé d’un acolyte blanc… Et ne dites pas que la riche propriétaire de Chloe emploie un domestique mexicain ! D’abord, il n’est pas jardinier, il est paysagiste (il y tient), et il est de plus parfaitement intégré, et considère sa patronne comme sa propre mère. Un pauvre comme on les aime chez Disney : honnête, digne et sachant rester à sa place.
Le Chihuahua de Beverly Hills n’oublie jamais qu’il s’adresse à la génération Paris Hilton : si le film fait mine de brocarder gentiment les riches et la jet set, non seulement il ne remet jamais en cause l’ordre social, mais il est en fait une publicité pour le mode de vie californien. Les tribulations de Chloe lui apprendront l’humilité, mais ne la priveront pas de son addiction pour les spas, les patticures et les boutiques de luxe. Une fois regagné son cocon douillet, elle aboiera la réplique-clef du film : « Beverly Hills, sí, snobinarde, no más ! » C’est bien simple : à côté de leur triste ersatz contemporain, Les Cent Un Dalmatiens et La Belle et le Clochard passeraient presque pour des brûlots subversifs.
Parents, si vous ne voulez pas traumatiser vos enfants, emmenez-les plutôt voir le magnifique Brendan et le secret de Kells, qui passe toujours dans quelques salles et qui a le mérite de ne pas les prendre pour des crétins.