C’est la crise à Hollywood : en panne totale d’inspiration, les scénaristes de Marley et moi ont délaissé les acteurs traditionnels pour se tourner vers le meilleur ami de l’homme, suivis de près par leurs collègues de Palace pour chiens. 1/3 de dialogues en moins à écrire, c’est toujours cela de pris. Les aficionados de 30 millions d’amis et des publicités Royal Canin y trouveront leur compte ; les amateurs de cinéma, eux, regretteront qu’encore une fois, le talent d’Owen Wilson et de Jennifer Aniston soit si mal employé à glorifier le way of life américain.
Sur le papier, Marley et moi, centré autour des tribulations du « pire chien du monde », sorte d’anti-Lassie générateur des pires catastrophes (du type manger le cuir du canapé, renverser ses croquettes partout, boire l’eau des toilettes), n’a pas beaucoup d’intérêt. À l’écran, les insanités originelles sont démultipliées : Marley court sur la plage puis fait caca dans l’eau ; Marley saute sur son dresseur et la fait tomber ; Marley court dans l’appartement de ses maîtres et manque de tout casser ; Marley danse avec Jennifer Aniston sous le regard affectueux d’Owen Wilson… Bis repetita jusqu’à ce que le chien finisse par s’épuiser lui-même après avoir laissé patraque l’ensemble des personnages – dont l’unique activité consiste à courir derrière lui ou à se plaindre de lui, tout en l’aimant beaucoup quand même. A ce propos, l’animal est bien le seul à avoir l’air un minimum naturel – au moins ne l’a-t-on pas contraint à sourire bêtement tout au long du tournage.
On peut difficilement imputer l’échec de ce film à David Frankel, pourtant très médiocre cinéaste (responsable notamment du Diable s’habille en Prada), tant le scénario sur lequel il travaille est creux. Rarement voit-on au cinéma, même dans ce genre de comédie romantique bas de plafond, une histoire aussi vide d’enjeux. Jennifer et John Grogan forment un couple parfait de journalistes, qui s’aiment d’amour tendre ; parce qu’il n’est pas encore prêt à avoir un enfant, John offre un petit chien à Jennifer pour l’occuper en attendant. Dix ans durant, le chien va donc être un témoin très actif de l’évolution − toute relative − de leur vie de couple plutôt idéale, puisque aucune crise ne viendra remettre en question l’état de fait initial.
À qui s’adresse Marley et moi, mis à part les heureux propriétaires de chiens, attendris par ce mignon Labrador peu respectueux des conventions ? À personne, dirait-on dans un monde idéal où aucun producteur n’aurait eu la sotte idée de le financer ; mais que Marley et moi ait caracolé en tête du box-office américain lors de sa sortie n’est pas tout à fait anodin. Car le discours sous-jacent du film correspond bien à son époque tristement pessimiste : quand des centaines de comédies romantiques se sont accrochées des années durant à la maxime « réalise tes rêves », celle-ci se fait un devoir de les catapulter toutes. Ainsi le personnage d’Owen Wilson doit-il abandonner ses désirs les plus fous afin de se subvenir aux besoins de sa famille grandissante ; quant à Jennifer Aniston (totalement absente), la voici passée de reporter vedette à mère au foyer heureuse de participer au repeuplement de la planète. L’amertume distillée dans le film n’est sans doute pas volontaire, mais l’idée générale est bien de se contenter de ce qu’on a. Une voiture qui scintille, une belle maison à la campagne, un chien affectueux, des enfants sages et blondinets, voilà la recette du bonheur. À côté, La Petite Maison dans la prairie, c’est Voyage au bout de l’enfer.